9 mai 2022

Nick Kent, The Unstable Boys : bienvenue à la fiction !


Nick Kent
: voilà un nom qui n'est inconnu d'aucun de celles et ceux qui se sont passionnés pour le rock depuis 1972. Rock critic unique en son  genre, l'Anglais Nick Kent a longtemps écrit pour le légendaire New Musical Express, où son style émaillé d'images choc et son sens de la narration lui ont bientôt valu le statut d'icône du genre. Il faut dire qu'il ne ménageait pas sa peine, estimant, gonzo style, qu'on ne pouvait être rock critic que si on adoptait le mode de vie des rock stars elles-mêmes. Ce qu'il fit consciencieusement, fréquentant de près Iggy Pop ou Chrissie Hynde, s'essayant même à la musique au sein d'un groupe punk qui était une sorte de "répétition" des Sex Pistols. Depuis, on a pu le lire dans le Guardian, Les Inrockuptibles, Rock & Folk ou Libé. “J'étais au bon endroit au bon moment,  avec les mauvaises drogues", déclare-t-il au Guardian en janvier 2021, au moment de la publication de The Unstable Boys en anglais. The Unstable Boys n'est pas son premier livre : Nick Kent, qui vit en France depuis la fin des années 80, avait déjà publié chez Rivages Rouge en 2012 une savoureuse autobiographie, Apathy for the Devil, traduite, déjà, par son épouse la journaliste Laurence Romance. En revanche, il ne s'était jamais laissé tenter par la fiction. C'est aujourd'hui chose faite avec ce polar où le monde de la musique occupe une place de choix, et, au passage, se prend une bonne petite claque... 

Et c'est peu de dire que le lecteur en a pour son argent, car Nick Kent a su résister à la tentation qui saisit certains ex-rock critics quand il s'agit de se mettre à l'écriture. La nostalgie, le name dropping, le "c'était mieux avant", ça n'est pas le genre de la maison. En revanche, la lucidité, l'ironie cinglante et la tendresse sont au rendez-vous. Et, surtout, le bonhomme sait raconter une histoire et le genre "polar" ou "roman noir" lui va comme un gant. Ce n'est d'ailleurs sûrement pas un hasard si l'un des protagonistes principaux est un auteur de romans policiers à succès. Nick Kent a décidé de prendre les choses à rebours : pour une fois, c'est une ex-star - éphémère - du rock qui va venir perturber la vie de son plus grand fan. Du temps de sa brève splendeur, on l'appelait "The Boy" : il était leader d'un groupe de rock devenu culte malgré - ou à cause de - sa courte carrière, The Unstable Boys. C'était en 1968. L'action du livre se situant en 2016, on imagine que The Boy a perdu de sa superbe... Mais Michael Martindale, auteur de romans policiers best sellers, est toujours aussi fan, presque 50 ans plus tard. Ce qui donne à Nick Kent l'occasion de s'interroger sur la nature de ce qu'est un fan : à quels besoins répondent les cultes, nostalgie de la jeunesse, blessures affectives ? 

Le groupe a connu un certain succès à partir de 1966. Cette année-là dans la presse, les critiques lui prédisent un bel avenir.Un an plus tard, ça se gâte, les Unstable Boys se font virer d'une tournée à cause de leurs comportements, disons, borderline. En 1969, le groupe a perdu son guitariste, victime d'un accident de voiture. Entre les membres du groupe restants, rien ne va plus. The Boy traite ses petits camarades de "branleurs". Désintégration... Et puis, en 2015, c'est la publicité qui ressuscite le groupe : leur musique sert de bande son à un spot de pub pour un téléphone portable. Dale "The Boy" Royston y voit, bien sûr, l'occasion de se refaire. Car il a passé le plus gros des dernières décennies à essayer de s'en sortir par des moyens plus ou moins honnêtes, sur le dos d'amis qui ne le resteront pas longtemps. The Boy a vieilli, et son pouvoir de séduction n'est plus ce qu'il était. Sauf sur Michael Martindale, qui traverse justement un petit passage à vide, et qui se retrouve en position de vulnérabilité face à The Boy. Qui va s'empresser d'en profiter. No limit

Nick Kent en 2014 - Coup d'Oreille, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons


Nick Kent a bien choisi son personnage principal : The Boy est parfait pour évoquer les côtés les plus noirs de l'univers du rock et des fantasmes qu'il fait naître. Le bonhomme a perdu très vite la gloire qu'il croyait acquise : The Boy est devenu un sale type... Pire : il sème le malheur autour de lui. Son histoire est un tremplin parfait pour l'auteur qui s'en donne à cœur joie et tape là où ça fait mal, repérant sans pitié les excès, les addictions, les faux-semblants, les déceptions, les tromperies. La relation entre l'ex-star et le romancier prend des airs inquiétants, le Servant de Joseph Losey n'est pas loin. Peut-on imaginer un "happy end" à cette drôle d'histoire ? Que va-t-il advenir de Michael Martindale, de "The Boy" et de Ral Coombes, l'autre "survivant" des Unstable Boys ? Faites confiance à Nick Kent : il mène habilement sa barque et se garde bien de "cracher dans la soupe". La fin de cette histoire obéit, néanmoins, à une forme de morale très personnelle, et tend vers un apaisement bien mérité. 

The Unstable Boys est un pur régal, un immense plaisir de lecture, une source de questionnements passionnante, un vrai bon roman noir, tout simplement. 

Nick Kent, The Unstable Boys, traduit par Laurence Romance, Sonatine éditions


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