Nous sommes à Manchester, en 2011. Plus précisément à l'Université. Zoé Nolan, 19 ans, vient d'arriver à Manchester où elle a entrepris des études de musique. Depuis trois mois, elle a quitté sa famille qui vit à Stoke on Trent, à une heure de là, dans le Staffordshire, pour s'installer dans "la grande ville", un vieux rêve. Ce soir-là, une fête bat son plein dans sa coloc. Au petit matin, elle sort de chez elle... et disparaît corps et biens.
Voilà le début de l'histoire. Mais comme dans ce livre, la forme compte autant que le fond, il faut bien dire que Joseph Knox commence son roman par une note de l'éditeur clarifiant le rôle joué par l'auteur (lui-même, donc), dans cette sombre histoire. Note qu'il conclut par ses propres mots, et où il déplore les menaces et les diffamations dont il a été victime suite à la première édition du livre. Non, ça ne va pas être simple...
Comment Joseph Knox, auteur de romans policiers, se retrouve-t-il mêlé de près à une affaire de disparition qui, si elle est tragique, n'a après tout rien d'exceptionnel? A l'époque, Joseph Knox connaît ses premiers succès, et il a autre chose à faire que de s'intéresser à toutes les disparitions du pays. Justement, c'est un de ses premiers romans, Sirènes, qui met sur son chemin une certaine Evelyn Mitchell, venue à l'une de ses signatures et romancière elle-même. Elle a connu un certain succès avec son premier roman, et sa carrière a été brisée net par un cancer. Joseph et Evelyn deviennent amis, parlent boutique. Evelyn est obsédée par les disparitions de femmes, et elle a même pris contact avec la famille de Zoé Nolan et avec ses amis. Elle s'efforce de convaincre Joseph de la pertinence de ses recherches, qui lui ont permis de découvrir qu'aucun des membres de l'entourage de Zoé ne semblait la connaître vraiment. Chacun détenait ce qu'il croyait être "la" vérité, chacun détenait en fait "sa" vérité. Et "la" vérité surgirait peut-être de la confrontation de tous ces témoignages incomplets. Joseph résiste, il pense qu'Evelyn perd son temps. Jusqu'à ce qu'il comprenne son erreur. Trop tard. Evelyn lui laissera toutes ses notes, ses interviews. Le livre que nous avons entre les mains est donc le fruit du travail de Joseph sur l'enquête d'Evelyn. Touchera-t-il du doigt la vérité ?
Joseph va donc faire la connaissance des amis de Zoé, de sa soeur Kimberly et du reste de sa famille, de son petit ami Andrew Flowers. Très vite, il comprend la fascination d'Evelyn. La vie d'étudiante de Zoé semble ordinaire, festive, joyeuse. En réalité, derrière ce joli tableau, Joseph va découvrir des zones d'ombre, et comprendre que la perception qu'avaient ses amis de la jeune disparue manque de cohérence, et c'est un euphémisme. La seule chose qu'ils partagent, c'est une incompréhension totale... Il va falloir creuser, et Joseph s'y attelle. Connaître les personnes, leurs relations, débusquer des événements troublants, chercher dans les interstices les pistes qui permettront peut-être de résoudre le mystère... Joseph va découvrir des personnalités équivoques, des comportements étranges, des mémoires défaillantes, des mensonges plus ou moins habiles. Il va vite se retrouver au centre d'un labyrinthe inextricable, d'une pelote de laine dont il aura bien de la peine à retrouver le bout. Tirer sur le fil, défaire les noeuds, croire qu'on a trouvé, buter sur des obstacles, les franchir pour se retrouver devant un autre mur : telle va être la vie de Joseph pendant tout le temps que durera son enquête. En prime, comme si cela ne suffisait pas, il sera confronté à une énigme de type "chambre close". Dans les témoignages de l'entourage, il trouvera souvent plus de raisons de réfléchir aux personnalités des témoins qu'au sort de Zoé, et il découvrira des hommes et des femmesplus ou moins narcissiques, plus ou moins pervers, plus ou moins malhonnêtes ou jaloux. A qui faire confiance ? C'est simple : à personne... Comme souvent dans ces cas-là, c'est l'improbable qui aura le dernier mot.
Manchester City Centre as seen from near Birtle by Bill Boaden, CC BY-SA 2.0 , via Wikimedia Commons |
Joseph Knox le personnage se retrouve pris au piège, manipulé, trompé, épuisé. Du coup, histoire de se venger sans doute, Joseph Knox l'auteur va nous prendre au piège, nous manipuler, nous tromper, nous épuiser. Mais aussi nous embarquer dans une histoire bouleversante qu'on lira volontiers d'une traite pour peu qu'on ait quelques heures devant soi, et nous forcer à prendre plaisir aux traitements qu'il nous inflige. Knox est exigeant envers son lecteur, il est aussi généreux avec lui. Pour peu qu'on cède à son charme - et c'est chose facile -, on lui est infiniment reconnaissant de ne pas nous prendre pour des lecteurs passifs en attente de frissons bon marché, et de nous reconnaître une certaine capacité à nous laisser entraîner dans une complicité féconde. Alors, un peu sonné, un brin étourdi, le lecteur de True Crime Story repose le livre et s'aperçoit que la dernière page n'est pas la fin. C'est bien simple, j'ai lu le livre à sa sortie en anglais, en 2021, et aujourd'hui, en 2023, à sa sortie en français, le souvenir en est encore profondément ancré, précis, vivace et marquant. C'est un signe qui ne trompe pas...
Joseph Knox, True Crime Story, traduit par Jean Esch, Le Masque
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