24 avril 2011

Tintin est-il un détective ?

A cette question d'une importance vitale pour l'histoire de la littérature policière et de la BD en général, je répondrai un "oui" catégorique et définitif. Dès son deuxième album, mister Hergé de son vrai nom Georges Remi (1907-1983), entraîne son personnage au célèbre pantalon de golf et au fox terrier (Milou) sautillant dans une aventure qui répond aux critères du genre. Voici donc Tintin en Amérique (paru dans Le Petit Vingtième à partir du 3 septembre 1931). Ouvrons ce livre religieusement dans sa version de 47 en couleur (gants blancs obligatoires comme pour un manuscrit de la Renaissance) et voici que dès la première page on fait connaissance avec les caïds du milieu représentés en grande conférence après l'annonce de l'arrivée de Tintin au pays de la prohibition. N'oublions pas que l'auteur de cette BD mythique est un contemporain d'Al Capone qu'il représente d'ailleurs de dos à la case deux avec ces mots à la bouche ou plutôt dans l'espace réservé aux textes de son phylactère : « Il ne faut pas que Tintin reste un seul jour à Chicago. J'ai dit ! ». Il restera et fera du ménage dans cette pègre pour le moins envahissante. Parions qu'Hergé ne devait pas être indifférent à un bon film en noir et blanc dans les salles obscures bruxelloises car les planches de cet album font penser à un story board de polar de série B. Certaines cases de paysages urbains ressemblent à des tableaux de Edward Hopper (1882 - 1967), célèbre peintre spécialiste de la ville américaine avec ses personnages désabusés errant dans les bars de nuit. Notamment l'arrivée de Tintin à Chicago, la tête penchée par la fenêtre d'un train vert avec des voies ferrées et des immeubles en arrière-plan. Hergé ne perd pas de temps lorsqu'il lance son héros (qui troquera pour l'occasion ses knickers contre un jean couleur locale) dans une nouvelle aventure. Nous aurons droit à un enlèvement dans un taxi piégé, une poursuite en voiture et à moto avant même d'arriver à la page 5. Bien sûr les gags sont pour le moins simplistes voire ridicules aujourd'hui mais Hergé s'adressait alors à de jeunes lecteurs qui n'était pas très regardants sur le niveau du produit. De toute façon, c'était cela ou la Comtesse de Ségur... alors le choix était vite fait. Notez aussi que pour nous mettre dans l'ambiance Hergé fait dire quelques mots d'anglais à ses protagonistes: « All right ! , how do you do? ».
Autre point qui prouve qu'Hergé utilisait volontiers les références cinématographiques de son époque, les méchants sont habillés de trench-coats bien fermés à la taille, façon Humphrey Bogart (page 13).  Il y a aussi dans cet album plusieurs références à la prohibition (transports d'alcool clandestins) qu'Hergé avait dû trouver dans des archives de presse. Quant aux policiers la casquette vissée sur la tête, ils sont à la botte des truands, comme il se doit. Jusqu'à ce que Tintin le justicier les remette dans le droit chemin.
Un détective digne de ce nom ne doit-il pas prendre le parti de la veuve et de l'orphelin... contre toute attente. Ce qui laisse supposer  que Tintin est donc bien un détective, un privé... un dur à cuire qui n'hésite pas à donner des poings bien qu'il exerce la profession de grand reporter qui devrait le contraindre à un peu plus de rigueur et d'impartialité. Mais ce n'est pas souvent qu'on le voit penché sur sa machine pour écrire un hypothétique article. Son métier de journaliste est donc bien une couverture pour masquer sa véritable activité d'enquêteur tout au long de ses nombreuses aventures (Tintin au pays des Soviets • Tintin au Congo • Tintin en Amérique • Les Cigares du pharaon • Le Lotus bleu • L'Oreille cassée • L'Île Noire • Le Sceptre d'Ottokar • Le Crabe aux pinces d'or • L'Étoile mystérieuse • Le Secret de La Licorne • Le Trésor de Rackham le Rouge • Les Sept Boules de cristal • Le Temple du Soleil • Tintin au pays de l'or noir • Objectif Lune • On a marché sur la Lune • L'Affaire Tournesol • Coke en stock • Tintin au Tibet • Les Bijoux de la Castafiore • Vol 714 pour Sydney • Tintin et les Picaros).
Laissons le dernier mot à Milou (page 60): « Tu y comprends quelque chose toi, Tintin ?».

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