11 mars 2012

Arsène Lupin face à Isidore Beautrelet, le choc des générations

Se plonger dans un Arsène Lupin au cœur du XXIe siècle relève pratiquement de l'archéologie de la littérature policière. Écrits à peine cinq ans avant la Première guerre mondiale, ces textes dont les premiers furent publiés à l'origine sous forme de feuilleton dans le journal Je sais tout, ont encore dans leur style un petit quelque chose du temps de Balzac et Zola. C'est par L'Aiguille creuse, paru en 1909, que le Blog du polar se propose de pénétrer l'univers de Maurice Leblanc (1864-1941).
L'image que la plupart des téléphiles ont gardée du personnage d'Arsène Lupin n'a rien à voir avec celle dépeinte dans ce roman. Le héros est en réalité Isidore Beautrelet, jeune lycéen détective amateur qui, l'année de son baccalauréat, se trouve confronté au gentleman cambrioleur dont il s'est mis en tête de contrarier les plans. L'auteur nous fait partager une enquête à énigmes qui commence par un vol de tableau dans un château et se poursuit par la découverte d'un message secret et des disparitions multiples. Cette aventure sent effectivement le feuilleton, avec ses rebondissements destinés à captiver le lecteur, mais qui n'ont pas toujours de lien les uns avec les autres et semblent destinés à faire durer le récit. L'intervention de nombreux personnages dont certains sont bien sûr Arsène Lupin sous ses nombreux déguisements donne au lecteur l'occasion de jouer à "Cherchez Charlie" car bien évidemment, Lupin n'est jamais là où on l'attend. On note aussi la présence des principaux acteurs récurrents dans l’œuvre de Leblanc : Herlock Sholmès, à peine esquissé et Ganimard, le détective de la police français, beaucoup moins nigaud que ce que la télévision en a retenu. Ce roman se lit d'une traite avec une facilité déconcertante pour le lecteur habitué aux textes noirs et pessimistes des polars contemporains. Aujourd'hui, on ne s'étonne pas d'une violence endémique et de la présence de cadavres, dont certains en décomposition, dans le moindre feuilleton télé, mais on peut imaginer que le lecteur de l'époque devait frémir à la lecture de ce texte fondateur de la littérature policière française, au même titre que Rouletabille. D'ailleurs le personnage d'Isidore Beautrelet est un avatar du petit journaliste de Gaston Leroux. En revanche, l'Arsène Lupin de L'Aiguille creuse n'a rien à voir avec celui des feuilletons télé. Le côté charmeur et justicier cède la place à un caractère beaucoup plus noir, voire violent et sans scrupules, puisqu'il n'hésite pas, par exemple, à injecter un somnifère à un petit garçon pour faire taire la mère détentrice d'un secret essentiel. Point d'élégance façon Georges Descrières mais une gouaille, un parler populaire et une violence qui peut surprendre, d'autant que sa bande est composée de malfrats qui n'hésitent pas à faire le coup de feu et à tuer pour se sortir d'un mauvais pas. Bien sûr, les jeunes filles sont très présentes dans ce texte et Arsène Lupin n'est pas indifférent à leur charme désuet. Il en vient même à en épouser une au cours du récit, ce qui permet à l'auteur de composer une fin dramatique, avec un sacrifice suprême. Pour ce qui est du mystère, Maurice Leblanc remet sur le tapis un vieux poncife : le trésor disparu des rois de France, de Vercingétorix à Louis XVI et place son intrigue en Normandie, plus précisément à Etretat, où se trouve la fameuse aiguille creuse qu'aujourd'hui tout le monde connaît. Mais qu'à l'époque le lecteur du fin fond de l'Auvergne devait ignorer. Ce rocher, dent de requin perçant les flots, recèle la solution de l'énigme et sert de décor à un combat physique et intellectuel entre Lupin l'homme mûr et Beautrelet la relève. Ni l'un ni l'autre n'en sortiront vainqueurs...
Fred


Quelques interprètes d'Arsène Lupin
De gauche à droite, Jules Berry, Robert Lamoureux, Georges Descrières et Romain Duris

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