Le New York Times vient de republier les 10 "règles d'écriture" qu'Elmore Leonard s'est forgées tout au long de sa carrière d'écrivain. But de ces règles : rendre l'auteur invisible. Plus précisément : l'aider à montrer ce qui se passe dans l'histoire plutôt que de l'écrire. Une stratégie très personnelle, mais visiblement efficace si l'on en croit la belle carrière de l'homme. Extraits.
1. Ne jamais démarrer un livre par des considérations météorologiques
Si votre seul but est de créer une atmosphère, et non pas de montrer la réaction du personnage au temps qu'il fait, restez bref. Le lecteur est bien fichu de sauter quelques lignes pour trouver des gens. Il y a des exceptions. Si vous êtes Barry Lopez, qui dispose pour décrire la glace et la neige de davantage de tournures qu'un Esquimau, alors là, vous pouvez y aller...
2. Evitez les prologues
Les prologues peuvent agacer, surtout s'ils suivent une introduction qui elle-même suit un avant-propos. C'est plutôt dans les ouvrages de non-fiction qu'on les trouve néanmoins. Dans un roman, le prologue est de l'ordre du contexte ou du passé, vous pouvez donc le mettre où vous voulez. Dans le roman de Steinbeck Tendre jeudi, il y a bien un prologue, mais il passe bien, car il y a dans l'histoire un personnage qui justifie entièrement mes règles. Il dit : "J'aime quand ça parle beaucoup dans un roman, je n'aime pas qu'on me raconte à quoi ressemble le personnage qui parle. Je veux imaginer son apparence à partir de sa façon de parler... J'aime bien la description, mais pas trop... Parfois j'aime bien qu'un livre se lâche, que l'auteur brode un peu, m'offre de jolis mots, ou me fasse une petite chanson. C'est agréable. Mais finalement je préférerais que ça se trouve ailleurs, et pas dans l'histoire, pour ne pas être obligé de le lire. Je ne veux pas que la "broderie" se mélange avec l'histoire."
3. Pour les dialogues, ne jamais utiliser d'autre verbe que "dire"
La ligne de dialogue appartient au personnage; le verbe, c'est l'auteur qui vient y mettre son nez. Et le mot "dire" est beaucoup moins intrusif que "grogner", "soupirer", "avertir", "s'écrier".
4. Ne jamais utiliser d'adverbe pour modifier le verbe "dire"
admonesta-t-il gravement... Utiliser un adverbe de cette façon (d'ailleurs, utiliser un adverbe tout court) est un péché mortel. Car alors l'auteur s'expose entièrement, il utilise un mot qui distrait et interrompt le rythme de l'échange. Dans un de mes romans, un personnage raconte comme autrefois elle écrivait des romans historiques "pleins de viols et d'adverbes."
5. Sachez contrôler vos points d'exclamation
Vous êtes autorisé à en utiliser deux ou trois tous les 100 000 mots. Sauf si vous avez le don de les employer comme Tom Wolfe, alors ne vous gênez pas.
6. Ne jamais utiliser les mots "soudain" ou l'expression "L'enfer se déchaîna"
Cette règle n'a pas besoin d'explication. J'ai remarqué que les auteurs qui utilisent le mot "soudain" ont souvent tendance à ne pas bien contrôler l'usage des points d'exclamation.
7. N'utilisez les dialectes et les patois qu'avec parcimonie
Si vous commencez à écrire vos dialogues en phonétique et à bourrer vos pages d'apostrophes, vous ne pourrez plus vous arrêter.
8. Evitez les descriptions détaillées de vos personnages
Nous avons vu plus haut ce que Steinbeck en pensait. Dans la nouvelle d'Ernest Hemingway Hills Like White Elephants, à quoi ressemblent l'Américain et la fille qui l'accompagne ? "Elle avait ôté son chapeau et l'avait posé sur la table." C'est la seule référence à une description physique dans tout le texte, et pourtant nous voyons les personnages, nous les connaissons à travers leurs intonations, et pas un adverbe en vue...
9. Ne vous embarquez pas dans des descriptions détaillées des lieux et des choses
Sauf si vous êtes Margaret Atwood, auquel cas vous êtes capable de peindre une scène avec des mots, ou encore Jim Harrison, et alors vous savez écrire des paysages. Mais même si vous êtes très bon, veillez à ce que vos descriptions ne mettent pas un coup d'arrêt à l'action, au flux de l'histoire.
Et pour finir
10. Essayez d'éliminer la partie que les lecteurs sauteront.
Cette règle m'est venue en 1983. Réfléchissez aux passages que vous sautez quand vous lisez un roman : les longs paragraphes de prose qui comportent à l'évidence beaucoup trop de mots. Dans ces cas-là, l'auteur écrit, brode, nous reparle un petit peu du temps qu'il fait, ou bien pénètre dans la tête de son personnage. Quant au lecteur, il sait ce que pense le gars, ou alors il s'en fiche. Je vous parie que vous ne sautez jamais les dialogues.
Mais la règle la plus importante résume les 10 précédentes : si ça ressemble à de l'écrit, alors je réécris."
Lire l'article sur le site du New York Times
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