On n'ose imaginer ce que ressent un auteur à la veille de la sortie de son nouveau roman, après avoir connu une progression régulière en succès et en popularité avec ses deux derniers romans, Grossir le ciel et Plateau, maintes fois récompensés. Si l'attente des lecteurs est forte, quelle doit être celle de l'écrivain qui veut avancer, être toujours meilleur, sans compromis, creuser un sillon qui n'appartient qu'à lui, s'affranchir des influences parfois salutaires, parfois encombrantes, faire entendre sa voix propre, décider du chemin à emprunter sans oublier de se laisser porter par son énergie, son intelligence, son talent? Telle est la question qu'on se pose une fois terminée la lecture de Glaise : quand on a suivi Franck Bouysse depuis avant Grossir le ciel, on prend d'autant mieux la mesure du chemin parcouru, et c'est une véritable émotion que de constater qu'encore une fois, il réussit à nous surprendre tout en restant fidèle à ce qui lui a attiré l'attachement des lecteurs.
Vous l'avez compris, il n'y aura pas de suspense dans cette chronique ! Avec Glaise, Franck Bouysse réussit une fois de plus à nous attraper le cœur, les sens et l'esprit. Il prend des risques tout en travaillant la langue qu'il aime tant, et réussit à mener de front ce travail sur les mots, à affiner son sens de la narration et du drame, bref il nous raconte une histoire terrible tout en nourrissant son goût pour le mot juste, le rythme, la construction, le récit. Nous sommes en août 1914, à la veille de la Grande guerre, dans le Cantal. Bientôt, tout ce que le pays compte d'hommes valides va être mobilisé. Bientôt, il ne restera plus dans les villes et les campagnes que les femmes, les enfants, les vieillards et les invalides. A Chantegril, au pied du Puy-Violent, pas loin de Salers, le jeune Joseph, quinze ans, va devoir assumer le rôle du chef de famille, puisque son père est parti à la guerre. Il va rester seul à la ferme avec sa mère Mathilde et sa grand-mère Marie. Dans la ferme d'à côté, le vieux Léonard, l'ami, le soutien, qui veille sur ses voisins parce qu'il les aime bien, mais aussi pour échapper à sa femme Lucie, malade, aigrie. Et là-bas, un peu plus loin, les Valette. Lui, l'homme, la brute. Elle, Irène, la femme, la victime, la mère d'Eugène parti lui aussi à la guerre. Et bientôt, la jeune Anna, nièce des Valette, venue se réfugier à la campagne avec sa mère.
Le Puy Violent (source Wikimedia) |
Les personnages sont en place, va alors pouvoir commencer le bal des rancœurs, des haines, des violences, de la candeur perdue, de la démence inouïe, de l'amour fou. Franck Bouysse, lentement, avec précision et âpreté, en suivant le rythme des saisons, raconte l'histoire de ces gens-là, les secrets qu'ils taisent, les silences, les mensonges, les désarrois, les solitudes effroyables, la mort, et aussi la vie, incarnée par les deux jeunes gens éperdument amoureux, Anna et Joseph, porteurs d'espoir, de sensualité, de beauté. C'est un terrible drame qui va se jouer entre ces êtres, au beau milieu d'une nature difficile, un drame entrecoupé par les travaux des champs, la vie des bêtes de la ferme. Valette, le mal incarné, Anna et Joseph, la renaissance possible entre deux êtres qui n'auraient jamais dû se rencontrer, deux enfants qui aiment pour la première fois et s'efforcent de faire vivre leur passion malgré la tragédie qui, au fil des pages, se précise jusqu'à l'insoutenable. Et la guerre gronde, en toile de fond, accomplit son travail de mort et de destruction.
Alors oui, pour Franck Bouysse, le pari est gagné. Avec Glaise, son travail de précision sur les mots s'est considérablement approfondi, et la sobriété du vocabulaire rend justice à la très noire et très belle histoire qu'il nous raconte. Si son lyrisme s'exprime pleinement dans les scènes d'amour exalté entre Joseph et Anna, il sait également sculpter la violence, la mort, le sang et la folie, rendant ainsi hommage à celui qu'il a choisi de citer en exergue de son roman, William Faulkner.
Alors oui, pour Franck Bouysse, le pari est gagné. Avec Glaise, son travail de précision sur les mots s'est considérablement approfondi, et la sobriété du vocabulaire rend justice à la très noire et très belle histoire qu'il nous raconte. Si son lyrisme s'exprime pleinement dans les scènes d'amour exalté entre Joseph et Anna, il sait également sculpter la violence, la mort, le sang et la folie, rendant ainsi hommage à celui qu'il a choisi de citer en exergue de son roman, William Faulkner.
Franck Bouysse, Glaise, La manufacture de livres.
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