24 novembre 2012

"L'herbe des nuits" de Patrick Modiano: crépusculaire et infiniment noir

Patrick Modiano sur le Blog du polar ? Je sais, c'est tiré par les cheveux. Quoique... Et si Patrick Modiano, roi de la "blanche" Gallimard, était après tout notre plus grand auteur de romans noirs? Et si au fil des années, Modiano, depuis sa Place de l'Etoile, paru en 1968, n'avait de cesse de dresser de Paris un portrait de plus en plus flou, de plus en plus déformé, dédoublé, troublant ? Et si son obsession de la quête de vérité (quoique...), d'identité (en trichant), d'histoire (réécrite), si sa légendaire nostalgie d'un temps qui n'a peut-être jamais existé, son retour éternel sur les fantômes du passé, le sien et celui de la France, aboutissait finalement à une grande œuvre noire (au noir ?).
Ce n'est pas la lecture de son dernier roman, L'herbe des nuits, qui va apporter une réponse négative à toutes ces questions. Le narrateur, Jean, écrivain, se rappelle les années 60. La Cité Universitaire, l'Unic Hôtel, dans le quartier Montparnasse, le treizième arrondissement, et surtout son amie Dannie, l'insaisissable, celle qu'il attend des nuits entières en lisant, celle qu'il rejoint dans les cafés, à la Cité Universitaire, et surtout à l'Unic Hôtel, qui abrite aussi un groupe d'hommes un peu inquiétants, qui ont tous en commun un certain rapport avec le Maroc... Parmi eux, l'ombrageux Aghamouri, qui entretient avec Dannie une relation ambigüe, lui fournit une fausse carte d'étudiante au nom de sa femme, et met en garde le narrateur : Dannie est en cavale, elle est mêlée à une sale affaire. Jean ne la juge pas, on ne juge pas ceux qu'on aime. Vraiment? Avec elle, Jean déambule dans Paris, de poste restante en chambre d'hôtel en passant par son ancien appartement où ils s'introduisent en loucedé, jusqu'à une maison de campagne des environs de Paris dont elle a gardé la clé. Jean ne connaît pas son nom, le vrai ou le faux. Pour lui, elle est Dannie. Pour d'autres, comme M. Langlais, de la police, qui interrogera Jean dans le cadre d'une enquête sur un meurtre auquel sont mêlés Dannie et les hommes de l'Unic Hôtel, elle a bien d'autres identités. Plus tard, bien plus tard, c'est-à-dire aujourd'hui, Jean rencontrera M. Langlais, qui lui remettra ce qui reste du dossier "Dannie". Si peu de chose en fait, et après tout Jean a-t-il vraiment envie de savoir? La vérité, est-ce vraiment la vérité ? Celle-ci ne se trouve-t-elle pas plutôt là, à la marge, là où le vrai frôle le faux, là où le passé surgit dans le présent, là où les frontières s'estompent?
Ceux qui n'aiment pas Modiano disent qu'il écrit toujours le même livre. Un peu juste... Dans L'herbe des nuits, bien sûr, les obsessions de Modiano sont toujours là, mais elles glissent au fil du temps. Au fur et à mesure que le temps passe, les époques dont Modiano se "souvient" se font de plus en plus lointaines. Et ça n'a pas tant d'importance que cela. Sauf qu'avec le temps, la nostalgie, d'une douceur acide du temps de la Place de l'Etoile, prend des allures crépusculaires et douloureuses. Avec, une fois la page fermée, le sentiment que nous vieillissons avec Modiano, dans l'ombre, et qu'il est peut-être le seul à savoir nous dire à l'oreille la cruauté du temps qui passe, mais aussi la relativité du souvenir.
Patrick Modiano, L'herbe des nuits, Gallimard

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