9 janvier 2013

Steve Mosby, Des "Fleurs de l'ombre" à "Dark Room" : un auteur, plusieurs visages

Les fleurs de l'ombre, publié par Sonatine vient de sortir en poche (Points Seuil) et fait partie de la sélection du meilleur polar Points. C'était l'occasion d'en parler. Steve Mosby, auteur anglais né en 1976, a publié son premier roman, The Third Person en 2003. Il faudra attendre 2008 pour que Sonatine traduise en français son troisième ouvrage, Un sur deux, puis Ceux qu'on aime, et enfin Les fleurs de l'ombre.
Les fleurs de l'ombre, c'est un peu du quitte ou double. Mosby a en effet choisi un mode narratif de type labyrinthique, avec plusieurs niveaux de lecture et plusieurs perspectives. Les lecteurs qui privilégient le style linéaire auront donc un peu de mal avec ce roman. Et pourtant le jeu en vaut la chandelle.
Tout commence avec une petite fille perdue, que l'inspecteur Sullivan recueille à Faverton, village côtier de l'est de l'Angleterre. Non seulement la petite est perdue, mais en plus elle semble en état de choc et réagit violemment quand l'inspecteur, pour la rassurer, lui assure qu'on va le retrouver, son papa. Visiblement, la figure paternelle n'est pas rassurante pour elle. Tout ce qu'elle possède tient dans un vieux sac à main trop grand pour elle : une fleur séchée aux pétales presque noirs... Le chapitre un nous fait entrer dans l'intimité de Neil Dawson, employé à l'université, apprenti écrivain qui n'arrive pas à se faire publier, dont le père est romancier. Neil vit avec Ally, qui travaille elle aussi à la fac, et ils attendent leur premier enfant. Christopher, le père de Neil a disparu, et bientôt Neil, inquiet, se lance à sa recherche. Il commence par la maison familiale, où il n'est pas, bien sûr. En revanche, Neil trouve dans le bureau paternel le roman de Robert Wiseman, La fleur de l'ombre. Un livre qui parle d'une petite fille qui réapparaît, et renferme dans ses pages une horrible fleur séchée noire... Il ne faut pas longtemps à Neil pour élucider la disparition : son père est mort. La police vient de le retrouver dans les bois, près d'une rivière, à Whitkirk. Il est tombé du haut d'un viaduc. Suicide ? Mystère. A partir de là, les événements s'enchaînent. Dans la vraie vie (je veux dire celle du roman), mais aussi dans le roman de Robert Wiseman. A tel point que le lecteur se retrouve pris dans un tourbillon où se mêlent les deux fictions... Qui est la petite fille du début du livre ? Est-elle si différente de celle dont parle le romancier Robert Wiseman ? Quel effroyable secret se dissimule derrière le sort de ces deux enfants? Et ce père effrayant, qui est-il ? Que fait-il ? Où vit-il ? Est-il le grand méchant loup? L'histoire - les histoires appartiennent-elles au passé et à la fiction, ou bien sont-elles terriblement réelles et actuelles? Neil va l'apprendre à ses dépens, et la scène de fin, d'une violence inouïe, écrite avec un sens du rythme et de l'action franchement époustouflant, vous laissera pantelant...
Donc Mosby est exigeant avec son lecteur, et ce dernier le lui rend bien. En effet, il faut que le jeu en vaille la chandelle pour suivre un auteur dans de tels méandres. Le roman nous interpelle sur le rôle de la fiction, et nous, lecteurs, sommes les premiers concernés par cette question. Il ouvre une porte qui donne directement sur un véritable tourbillon : quels sont les mécanismes qui nous entraînent au cœur de ce maelström, à quel besoin répond la peur que provoque ce roman, quels ressorts entrent en jeu lorsque nous cédons aux pièges tendus par l'auteur? A un autre niveau, Les fleurs de l'ombre sont aussi une interrogation pour l'auteur. Car les questions qu'il se pose sur la paternité, sur la difficulté qu'éprouve Neil face à cette perspective, qu'il va jusqu'à exprimer dans une nouvelle, nous ont semblé bien sensibles pour Steve Mosby !
Bref, un roman qui n'est pas de tout repos, qu'il n'est pas question de lire "d'un œil", et qui fait faire de l'exercice à nos méninges et à nos émotions!

Steve Mosby, Les fleurs de l'ombre, traduit de l'anglais par Laura Derajinski, également disponible en Points Seuil

Dans Dark Room, pas encore traduit en français, Mosby a choisi une écriture plus directe, plus linéaire. Mais le roman n'en est pas moins complexe et déroutant. Ne serait-ce que parce que, contrairement à l'habitude, c'est la psychologie de l'enquêteur plus que celle du criminel qui est au centre de l'histoire. Celle d'Andy Hicks, inspecteur cartésien s'il en est, persuadé que tout crime a sa raison, et que le rationnel est la voie vers la résolution d'une énigme.  L'histoire de Dark Room lui donne-t-elle raison ? Paradoxalement, oui... Mais pas vraiment comme il l'aurait souhaité. On constatera que là encore, Hicks et sa compagne Rachel attendent leur premier enfant. Tiens, tiens... Le roman joue sur les schémas, les comportements, les liens complexes entre les personnages. Même s'il paraît plus classique, puisqu'il s'agit d'une enquête policière sur des crimes en série, Dark Room est une construction magistrale, d'une profondeur et d'une noirceur confondantes. Reste à attendre sa traduction en français...

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