1 décembre 2013

Paris Polar 2013 : Sam Millar répond à Hervé Delouche

 La semaine dernière, le festival Paris Polar recevait Sam Millar, qui a répondu aux questions inspirées à Hervé Delouche par la lecture de son roman extraordinaire, On the Brinks (Seuil). Voici quelques morceaux choisis. Un grand merci au passage à l'interprète pour son travail remarquable ...


Quelle enfance avez-vous eue là-bas, à Lancaster Street, Belfast?
Belfast était connue pour combattre les Britanniques. En tant qu'enfant, avec mes copains, tout allait bien. Pour les adultes, c'était autre chose.

Dans le chapitre 5, "Du sang sur leurs saletés de mains", vous avez 14 ans et votre frère vous emmène en voiture à Derry pour une ballade exceptionnelle; c'est la manifestation pour les droits civiques : le Bloody Sunday.
Mon frère était intéressé par les événements, il était socialiste. Je ne m'intéressais pas du tout à la politique à l'époque, tout ce que j'aimais, c'était la musique et les filles. Quand il m'a proposé de m'emmener à Derry, je n'avais aucune idée de ce qui se passait là-bas. Quand nous sommes arrivés, j'ai vu des centaines de soldats britanniques armés dans les rues, et j'ai interrogé mon frère. Il m'a dit : "C'est une marche pour les droits civiques. Nous sommes traités comme des citoyens de deuxième ordre, nous protestons contre ça." Je me rappelle l'odeur du gaz, les tirs... Finalement, on s'est sentis légitimes car nous combattions pour nos droits comme les noirs le faisaient aux Etats-Unis.

C'est de cette journée que date votre engagement.
C'est à partir de ce moment-là que j'ai compris que j'étais concerné, moi aussi, que je devais moi aussi me battre pour l'égalité.
Et vous avez rejoint les combattants de l'IRA.
J'ai rejoint ce mouvement que certains appellent IRA parce que eux, ils ne voulaient pas combattre.
 
La première partie, extrêmement puissante, sans pathos, relate vos huit ans d'emprisonnement à Long Kesh. Ce lieu évoque toujours la mort de Bobby Sands. Pouvez-vous nous rappeler ce qu'était le "H Block" et le mouvement des "blanket men"?
Le H Block avait été conçu tout spécialement par Margaret Thatcher qui voulait "casser" le mouvement irlandais. Cet endroit a été inspiré par la façon dont les nazis traitaient les juifs. J'étais absolument terrifié, c'était horrible. En arrivant, j'ai été obligé de me déshabiller entièrement, je suis resté nu dans le froid pendant 4 heures, entouré des gardes qu'on appelait les "screws". Parce que refusais de porter l'uniforme qu'ils me donnaient : cet uniforme était pour les prisonniers de droit commun, et je n'étais pas un criminel. On nous a donné de minables couvertures pour nous couvrir, d'où ce nom de "blanket men".

Vous racontez les tortures physiques et mentales que vous avez subies en tant que blanket man. Bains glacés forcés, passages à tabac, fouilles au miroir... Il ne faut pas oublier qu'on était dans un pays de l'Europe démocratique... Vous n'avez jamais cédé, comment avez-vous tenu, qu'est-ce qui vous a donné la force de continuer le combat ?
SI on m'avait dit ce jour-là que cela allait durer 5, 6 ans ou davantage, j'aurais craqué. Mais ça n'était pas le cas. Donc j'ai continué le combat jour après jour. Et puis j'étais à 100% convaincu d'avoir raison car je combattais une armée d'occupation. En plus, étant irlandais, je suis vraiment têtu.

Vous n'aviez rien à lire là-bas, sauf la Bible qu'on vous a donnée après 3 ans seulement. Comment avez-vous commencé à songer à l'écriture?
Effectivement, nous n'avions rien pour lire ou pour écrire. Tout ce qu'on avait, c'était cette couverture très rêche. Au bout de quelques années, on nous a donné la Bible. Personnellement, je ne l'avais jamais lue. Mais quand on a rien d'autre, on apprécie. Et puis nous avons inventé l'histoire du soir. Tous les soirs, un d'entre nous se levait et racontait une histoire qu'il avait lue, ou bien un film, une pièce, une histoire d'enfance. Lorsque mon tour est venu, je me suis aperçu que les autres écoutaient avec plaisir, riaient, applaudissaient. C'est cela qui m'a donné envie d'écrire.

La deuxième partie du livre a une tout autre tonalité, qui nous fait plutôt penser à du Westlake. Vous vous êtes exilé clandestinement aux Etats-Unis, et en 1993, vous organisez le casse de la Brinks de Rochester, qui va rapporter 4,7 millions de dollars et marquer l'histoire du braquage aux USA. Comment est venue l'idée, comment est-ce que ça s'est passé?
J'habitais à Brooklyn et j'avais un ami policier. C'était d'autant plus intéressant qu'en Irlande, je combattais les flics. Pour arrondir ses fins de mois, cet ami travaillait à la Brinks. De temps en temps, j'allais là-bas boire une bière avec lui. A chaque fois je remarquais un certain nombre de choses : notamment qu'il y avait des tonnes d'argent partout, et surtout que les portes n'étaient pas fermées. Ça m'a donné des idées.

L'argent était le moteur ?

Non, pas du tout. En fait, je travaillais au casino et je gagnais bien ma vie. J'avais besoin de me prouver que j'étais encore capable de faire un truc comme ça. Une affaire de défi, d'adrénaline. En fait, je n'ai jamais dépensé cet argent, et pourtant il a fallu un an avant que le FBI ne m'arrête. D'ailleurs, je pensais que je n'aurais pas dû agir ainsi, car l'Amérique m'avait bien accueilli.

Passage par la case prison aux Etats-Unis, avant le retour en Irlande. Vous avez dit qu'aujourd'hui quelqu'un qui exprime des opinions dissidentes prend un vrai risque. Que pouvez-vous en dire?
C'est une très grosse déception pour moi de voir que beaucoup de ceux avec qui je me suis battu autrefois sont passés de l'autre côté de la barrière. Ils sont devenus des hommes cruels, des serviteurs du gouvernement britannique...

Lire notre interview de Sam Millar
Lire notre chronique de On the Brinks
Lire notre chronique de Poussière tu seras

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