3 mai 2014

Robin Cook, J'étais Dora Suarez, quand l'amour naît de la douleur

I
Un blog sur le polar et le roman noir sans un post sur Robin Cook/Derek Raymond, ça commençait à devenir impensable. Alors tant pis pour l'actualité, on va parler de Robin Cook, Cookie pour ses amis. Cook naît "fils à papa". Mais il ne le restera pas longtemps. Né en 1931 au sein d'une famille d'industriels du textile, il commence ses études à Eton. Et s'enfuit à 17 ans. Plus tard, il considèrera le collège huppé de Eton comme une excellente préparation à tous les vices. Il passera la plus grande partie des années 50 loin de son pays natal, notamment à Paris où il côtoiera Burroughs et Ginsberg, mais aussi la bande de Juliette Gréco. Puis ce sera New York où il contractera un mariage éclair de 65 jours avant de commencer à fréquenter divers gangsters avec lesquels il participera à des trafics variés, notamment dans le domaine des oeuvres d'art. Il fera de la prison en Espagne pour s'être exprimé contre Franco. Retour à Londres en 1960, où il continue à évoluer dans des milieux pas très clairs.

C'est en 1962 que paraît son premier roman, Crème anglaise (The Crust On Its Uppers) publié en français par Gallimard en 1966. Un roman qui décrit la plongée d'un Anglais dans les bas-fonds de Londres. Le roman provoque un petit scandale et obtient des critiques plutôt flatteuses. Mais les ventes ne suivent pas... Il s'installe en Toscane, dans un village autarcique/anarchiste qui le nommera ministre des affaires étrangères et ministre des finances! Mais c'est en France, dans l'Aveyron, qui finira par se fixer. Pendant tout ce temps, il n'écrit plus, s'occupe de ses vignes, restaure tant bien que mal sa tour fortifiée du XVe siècle. Il se remet à l'écriture, puis retourne à Londres où il se marie pour la quatrième fois, et divorce à nouveau. Il fait des petits boulots pour survivre, et surtout observe ses contemporains, amasse le matériel nécessaire à son œuvre future. Pour ceux qui voudraient le lire en VO, notez que dans les pays anglo-saxons, Robin Cook est publié sous le nom de Derek Raymond, histoire qu'il n'y ait pas de confusion avec l'auteur de thrillers médico-scientifiques...
C'est en 1984 qu'il publie He Died with his Eyes Open, le premier volume de sa série Factory, L'Usine, du nom donné au poste de police où exercent les enquêteurs qu'il met en scène. Le roman sera adapté au cinéma par Jacques Deray sous le titre On ne meurt que 2 fois, avec Charlotte Rampling et Michel Serrault. Le deuxième volume de la série, The Devil's Home on Leave, paru en 1985, sera lui aussi porté à l'écran sous le titre Les mois d'avril sont meurtriers (réalisation de Laurent Heynemann, avec Jean-Pierre Marielle, Jean-Pierre Bisson et François Berléand). Le prochain roman, paru en 1990, est précisément celui dont je vais vous parler un peu plus loin, J'étais Dora Suarez. Un roman choc pour le lecteur, mais aussi pour l'auteur, qui s'investira tellement dans cette histoire ultra-violente et ultra-noire qu'il dira lui-même dans son autobiographie (Mémoire vive, paru chez Rivages) que l'écriture de ce roman l'a littéralement brisé physiquement et mentalement. Cook retourne à Londres l'année suivante, il y meurt en 1994.

 
 Extrait de "Carnets noirs" avec Robin Cook

J'étais Dora Suarez : oui, comme Gustave Flaubert avec Emma Bovary, Robin Cook s'identifie violemment à son personnage. Dora Suarez, jeune prostituée d'origine espagnole, est retrouvée littéralement massacrée à coups de hache dans la chambre qu'elle occupait chez Mme Carstairs, 86 ans, logeuse mais également amie, qui fait également les frais de l'agression sauvage, et se retrouve encastrée dans son horloge de famille... Le roman commence comme ça : " Interrompu par la vieille, venue voir ce qui se passait dans la pièce d'à côté, alors qu'il n'en avait pas encore terminé avec la fille, le tueur se rua sans un mot sur l'intruse, l'empoigna comme un paquet de linge sale, puis l'expédia à travers le panneau frontal de son horloge à balancier, située à l'entrée de l'appartement, avec une violence dont lui-même ne se savait pas capable." Eh oui, on est bien chez Robin Cook, et dès la première phrase on sait qu'on a atterri dans une contrée où on ne se couche pas de bonne heure. L'histoire est racontée par un flic anonyme, rappelé aux affaires à Londres après avoir été proprement foutu à la porte. L'homme est une boule de rage et de douleur, et il n'y a que lui qui puisse venir à bout de cette affaire qui tourne vite à l'hécatombe avec l'exécution sommaire de Roatta, éminent homme politique doublé d'un ponte de la pègre londonienne. Quel rapport entre le meurtre sauvage d'une jeune femme et de sa logeuse, et celui d'un édile véreux ? Notre sergent neurasthénique et sans nom a le sentiment irrépressible que les deux affaires sont liées. Pour en faire la démonstration, il va devoir remonter la filière, trouver les liens, découvrir l'horreur, ou plutôt les horreurs.

Ce roman n'est pas seulement un voyage au bout de la folie, avec la description minutieuse de la démence totale du meurtrier, c'est aussi, paradoxalement, un roman de profonde empathie avec ceux qui souffrent, qui sont maltraités jusqu'à la fin d'une vie de cauchemar qui se termine, comme de juste, en cauchemar. Jusqu'au bout, avec un dénouement en forme de face à face tout bonnement hallucinant, Robin Cook donne l'impression d'avoir écrit sous emprise. Sa description du premier crime, qui court sur près de 20 pages, est un morceau de  bravoure horrifique, d'autant que le criminel profite de la situation pour nous en dire un peu plus sur ses exploits passés, et lever un coin du voile qui masque sa folie furieuse pour nous faire entrevoir, et redouter, les racines du mal et ses redoutables promesses. Heureusement, si l'on peut dire, le sergent sans nom tombe véritablement en amour avec Dora Suarez. Plus son enquête avance, plus il aime cette femme, plus il souffre pour elle, à cause de sa mort atroce, mais aussi de sa vie littéralement saccagée. Cet amour inconditionnel, l'auteur du roman se l'est approprié. Et s'il égratigne au passage la société anglaise, ses corruptions, ses perversions et son intolérable injustice, il sait exprimer cet amour fou de façon déchirante. Si bien qu'on comprend vite pourquoi J'étais Dora Suarez a marqué un véritable tournant dans la carrière de Robin Cook, et probablement aussi dans sa vie personnelle. Bien sûr, ce livre n'est pas pour les âmes sensibles, ou plutôt si. Un conseil seulement, âmes sensibles : ayez le cœur bien accroché...

Robin Cook, J'étais Dora Suarez, traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias, Rivages/Noir

1 commentaire:

  1. Comme il est bon parfois de revenir aux fondamentaux !
    Bel article Velda sur cet auteur incontournable qu'est Robin Cook. S'éloigner de l'actualité a du bon...
    Dans la première partie de son œuvre, il y a quelques romans à citer, tels que "La rue obscène" ou "Quelque chose de pourri au royaume d'Angleterre". Et dans sa série de l'Usine (the Factory), juste avant Dora Suarez, il y a l'atypique "Comment vivent les morts".
    Robin Cook est un grand auteur, dérangeant, au style particulièrement prenant.
    Merci d'en avoir si bien parlé !

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