26 mars 2017

"Révolution", de Sébastien Gendron : Power to the People ?

Sébastien Gendron est de retour, et il est en colère... Au début de son roman, Gendron ne renonce pas à ses (bonnes) habitudes : une situation totalement invraisemblable, des lieux parfaitement loufoques, des personnages aussi inattendus que lamentables. Jugez-en : le livre commence dans une discothèque,  le Torpedo,  tout entière vouée à la distraction des seniors,  et à l'enrichissement éhonté de son propriétaire. Qu'est-ce qu'on s'amuse, au Torpedo ! Des sosies de stars viennent prendre les commandes, servir les consommations, danser avec les clients; l'établissement est donc peuplé de Richard Gere, de Beyoncé et de Kylie Minogue aussi faux que possible. 

Pour l'heure, le Torpedo vient d'ouvrir, il est 13h30, et le patron, M. Katzemberg, a des rendez-vous. M. Katzemberg recrute. Eh oui, c'est un patron modèle, M. Katzemberg. Deux personnes M. Katzemberg, il a déjà travaillé pour lui. Frank (il s'appelle Frank) a bien besoin d'un job qui lui rapporte. Vu qu'il s'est fourré dans un sacré guêpier : il a enlevé une adolescente et manque de pot, personne ne veut la récupérer... Frank, c'est le "gangster number one" de Katzemberg. Ça le rassure. Ça ne devrait pas. L'autre, Georges, est un nouveau-venu, et il n'a pas la tête de l'emploi. Mais les apparences sont parfois trompeuses... Et n'oublions pas Voyelle, le chien de garde homme à tout faire de M. Katzemberg, sorte de colosse un peu lent qui doit son surnom à son incapacité à articuler les consonnes. Voyelle, l'indispensable, l'innocent, celui qui ne sent pas sa force. Histoire de ne pas vous gâcher le plaisir, passons directement au cœur du sujet. Après moults quiproquos, violences et autres péripéties mortifères, Georges l'inconnu se retrouve à fuir au volant de la jeep patronale, occupé à mettre autant de distance qu'il le peut entre le Torpedo et sa propre personne.
Et là, tout bascule. Non pas qu'on revienne à la normale, n'ayez crainte. Seulement Georges rencontre l'héroïne du roman,  Pandora Guaperal, belle et grande femme vigoureuse et révoltée, qui vient de se voir octroyer pour la boîte d'intérim pourrie pour laquelle elle travaille histoire de manger une mission en forme de goutte d'eau qui fait déborder le vase. Démolir le calvaire de Marjovent, situé sur un terrain sur lequel un consortium qatari a décidé d'ériger une mosquée. Pour la municipalité, pas question de refuser : à la clé, des investissements et sans doute des emplois. Alors le calvaire, qu'on le mette par terre. Et pour ce faire, il s'agit de trouver quelqu'un qui ne pourra pas refuser. C'est le cas de Pandora, qui est au bout du rouleau. Down with the calvaire, donc. C'est là que le vase déborde, et que Pandora rencontre Georges. Ces deux-là, s'ils n'avaient pas été tous les deux à bout, ne se seraient sans doute jamais parlé. Mais c'est le bon moment pour eux deux. C'est décidé, ils vont la faire, la révolution.

Et pour cela, ils vont utiliser l'un des instruments de l'aliénation humaine : la voiture. C'est jour de grand départ pour les Français : les autoroutes sont blindées, les nationales aussi, les voitures, les camping-cars sont bourrées à craquer d'hommes, de femmes et d'enfants qui s'acheminent, à la queue leu leu, vers leur lieu de vacances aussi aliénant que leur travail, mais différent... L'idée de Pandora ? Bloquer complètement un des axes principaux empruntés par les vacanciers. Une arme, une orthèse, la jeep et Georges, voilà tout ce dont elle a besoin. La voilà donc perchée au beau milieu du pont autoroutier, le bras replié et appuyé sur son orthèse, une arme pointée sur le front, Georges en appui près d'elle. Leur message ? "Faites la révolution où je tire." A partir de là, Gendron réussit le paradoxal exploit de mettre en place une sorte de huis clos en plein air. On se représente, incrédule, le tableau qu'il décrit : la file de voitures qui s'allonge, cette femme, là, qui menace de se tuer, et son discours révolutionnaire, terroriste qui n'est un danger que pour elle-même... La situation est parfaitement surréaliste, mais les arguments de Pandora devraient parler à la foule de vacanciers : l'exploitation, la course folle à la consommation, la politique qui fait tout sauf ce qu'elle devrait faire, l'aliénation, le bonheur préfabriqué qu'on nous fait miroiter, la fatalité des malheurs qui nous accablent, la corruption, la bêtise ambiante. Tout cela devrait leur parler. Non?

Sébastien Gendron est donc en colère, une saine colère qui devrait nous parler, à nous qui allons bientôt voter... D'ailleurs, on aurait aimé que le livre paraisse un peu après, vu les événements dont nous sommes témoins : cela lui aurait donné encore davantage de grain à moudre. L'auteur nous a habitués, sans pour autant cesser de nous surprendre, aux situations absurdes, à ses métaphores cinglantes, à son humour vachard. Là, on a la sensation que la colère et la révolte prennent largement le pas sur l'humour. Non pas qu'on s'ennuie : Gendron a le sens de la description qui tue, l'écriture rythmée et irrésistible qui fait qu'une fois qu'on a commencé, pas question de lâcher le livre. Mais sa colère, sa révolte et son incompréhension face à notre passivité - ou à notre impuissance - sont plus perceptibles dans ce roman-là que dans les précédents. Ce qui devrait nous donner à réfléchir...

Sébastien Gendron, Révolution, Albin Michel

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