Le nouveau roman de Benoît Séverac nous permet de renouer avec un personnage déjà familier : la vétérinaire Sergine Hollard, dont on a fait la connaissance dans Le chien arabe, paru en 2016 (voir chronique ici). Bonne nouvelle numéro 1: elle n'a rien perdu de son énergie, de sa générosité et de sa faculté de révolte. Bonne nouvelle numéro 2 : le style de Benoît Séverac a gagné en puissance et en rythme. Du coup, nous voilà face à un roman qui tient toutes ses promesses, et où l'auteur affirme son assurance et sa force de persuasion.
Nous sommes à Toulouse, bien sûr. Sergine Hollard, après ses prouesses dans Le chien arabe, s'est acquis une belle réputation d'emmerdeuse auprès des forces de police, y compris Nathalie Decrest, la flic qui sévissait déjà à l'époque, maintenant chef de groupe de la BST Nord, mais aussi de ses propres collègues qui voudraient bien qu'elle concentre son énergie sur l'exercice de son métier et la prospérité de la clinique. Ce serait mal connaître Sergine. La voilà repartie dans un nouveau projet : créer une clinique vétérinaire ambulante pour les animaux des SDF.
Quelque part dans la ville, deux jeunes Albanaises fraîchement débarquées d'un voyage chaotique, avec le fils d'une d'entre elles, vivent l'enfer. Elles se croyaient arrivées au pays où l'on trouve du travail, un toit, une vie modeste mais sûre. Et les voilà embarquées dans un réseau de prostitution particulièrement dur : dans ce milieu-là, la femme est une bête de somme, une bête de sexe, une "business unit" dont on se débarrasse si elle ne rapporte pas assez. Malheur à elle si elle essaie de se révolter... Hiésoré a commencé par se soumettre : elle doit assurer la survie de son fils Adamat. Mais bientôt, avec son amie Kaça, elles décident de s'enfuir. S'enfuir où ? Elles ne connaissent personne, ne parlent pas la langue, se retrouvent dans une ville inconnue, et leurs tortionnaires sont à leurs trousses. Face à la mafia albanaise, elles n'ont pas une chance.
Sergine Hollard est d'astreinte ce jour-là. C'est elle qui est réquisitionnée par la police quand il s'agit d'aller constater l'état des volatiles qui servent aux combats de coqs clandestins organisés dans les faubourgs de Toulouse par les Gitans du coin. L'issue de l'opération est inattendue : dans un container, on découvre deux femmes et un enfant terrorisés, épuisés. Hiésoré, Kaça et Adamat, bientôt pris en charge par des services sociaux, hélas mal préparés à affronter la détermination des hommes de la mafia albanaise, appuyés par un mystérieux "correspondant" qu'on appelle "le Français". Si elles se croient en sécurité, elles se trompent...
Bien sûr, Sergine Hollard ne peut pas s'empêcher de s'impliquer dans cette histoire plus qu'il ne sied à une vétérinaire "normale". Nathalie Decrest a beau lui intimer l'ordre de se tenir à l'écart, comment pourrait-elle se désintéresser du sort de ces femmes torturées, de cet enfant malade ? Sergine, après sa douloureuse expérience précédente dans le milieu des dealers, va découvrir avec horreur les rouages de la prostitution, et ceux du monde des migrants. Des rouages qui fonctionnent en parallèle, et qui, de temps à autre, s'imbriquent l'un dans l'autre pour le plus grand malheur des uns et des autres, et le plus grand profit d'une minorité d'hommes sans pitié.
Benoît Séverac restitue avec une précision redoutable la vie dans le camp de gitans, sans manichéisme aucun, et donne vie à des personnages terrifiants, attachants ou bouleversants, sans jamais céder aux généralisations trop faciles... Les vies parallèles, les dérives, le chaos, le sort des femmes, toujours les premières victimes d'une société malade, il les appréhende avec empathie, et livre avec 115 un roman douloureusement contemporain, délibérément lucide et réaliste, et sans doute désespéré, malgré la présence de ses personnages récurrents, lumineux malgré leurs faiblesses, combattants de l'ombre aux victoires incertaines.
Benoît Séverac, 115, La Manufacture de livres
Merci pour cette belle chronique. Amitiés, BS
RépondreSupprimerUn plaisir, Benoît ! Amicalement.
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