28 novembre 2019

Franz Bartelt, Ah, les braves gens ! : manigances à Puffigny

L'hôtel du grand cerf (sorti en 2017) a valu à Franz Bartelt des prix littéraires et surtout, enfin, une large reconnaissance chez les amateurs de polars. L'homme n'était pourtant pas précisément un débutant : depuis la parution de son premier roman (Les Fiancés du paradis) en 1995, sa bibliographie s'est enrichie de plus de 20 romans, des recueils de nouvelles et de poésie, des ouvrages jeunesse, du théâtre, des ouvrages sur les Ardennes... Tout ça pour vous avouer ma honte : eh oui, Ah les braves gens ! est "mon" premier Franz Bartelt, et assurément pas le dernier. La couverture donne le ton : cette ravissante petite tapisserie au point de croix accrochée sur un mur de lambris sombre ne nous dit rien qui vaille. "Home, sweet home", dit la petite tapisserie ironique...

Dans L'hôtel du grand cerf, Franz Bartelt nous avait transportés dans le bourg imaginaire de Reugny, dans les Ardennes. Dans Ah, les braves gens!, il déplace  la focale et nous entraîne... à Puffigny, bled tout aussi imaginaire, "au milieu des champs de betteraves et de maïs", proche d'un canal. On n'en saura pas davantage sur la localisation de cette remarquable agglomération.  "A ma connaissance, il n'existe pas au monde un village aussi propre et coquet que Puffigny. Les rues ont l'air d'un décor de cinéma." 
 Que diable vient faire Julius Dump à Puffigny, où il débarque à bord de la Cadillac jaune qu'il a héritée de l'oncle Georges ? Dès son arrivée, il fait la connaissance d'un autochtone tombé en panne de moto : l'ineffable Polnabébé, que notre héros va généreusement véhiculer jusqu'au village. En échange, Polnabébé va l'escorter jusqu'au Bistrot de la gare, où il doit récupérer les clés de la maison qu'il a louée, près du canal. Vous avez sans doute déjà noté que Franz Bartelt a du goût pour les patronymes incongrus : rien de tel pour donner le ton à une histoire parfaitement loufoque, où les personnages portent des noms soit incroyables, soit terriblement communs. Ainsi, le patron du bistrot de la gare s'appelle Gromard... Dès son arrivée, Julius Dump qui n'a pas ses yeux dans sa poche note que les enfants du village ont d'étranges comportements : ils rôdent, ils observent au lieu de sauter partout en rigolant, comme le font les enfants partout ailleurs.

Le canal (Maxjasper)

Revenons à notre question : que vient faire Julius Dump à Puffigny ? S'isoler pour écrire, comme il l'affirme à un Polnabébé tout excité à l'idée de côtoyer une célébrité de la littérature ? En réalité, il est là pour tirer au clair un secret de famille : feu son père "avait accompli une impeccable carrière de tueur". A sa mort, il a confié le jeune Julius à son oncle Georges (oui, celui de la Cadillac jaune). L'oncle Georges vient de mourir, laissant à Julius, outre sa voiture, sa maison et son compte en banque. Julius a fouillé la maison du tonton et y a découvert une masse de documents aussi divers que variés, parmi lesquels il a trouvé une carte routière annotée où le nom de Puffigny ressortait, bien en évidence, complété par un mystérieux patronyme : "Nadereau". Il n'en fallait pas plus pour que Julius Dump, aspirant romancier, fasse ses bagages, direction Puffigny. D'aspirant romancier, Dump va se transformer en enquêteur, aidé en cela par un détective diplômé du cru, l'ineffable Helnoute Ballo,  qui a fait ses études par correspondance. Pas vraiment Philip Marlowe ... 

Comme si le mystère Nadereau ne suffisait pas, voilà qu'une jeune fille disparaît, laissant derrière elle une chaussure rouge à gros talon. Deux énigmes pour le prix d'une pour nos deux apprentis enquêteurs, qui vont faire leurs classes ensemble, sur le terrain. D'un côté, une jeune fille disparue. De l'autre, le mystère d'une vie, une énigmatique œuvre d'art, un sanglant hold-up du passé. Du pain sur la planche. La double enquête qui va suivre ne ressemble à rien de ce que vous connaissez en tant qu'amateur de polar : le village de Puffigny compte autant de menteurs plus ou moins bien intentionnés que d'habitants. Et autant de parfaits barjots. Quant à ceux qui viennent d'ailleurs, comme ce mystérieux homme en costume marron à rayures, que Dieu les protège. Julius Dump, finalement, a de la chance : étranger au village, il parvient à se faire accepter par cette étrange communauté, peut-être parce que lui aussi est, finalement, un menteur invétéré...

Franz Bartelt, tel un Simenon sous acide, nous entraîne derrière lui au sein d'un village fermé sur lui-même, pourvu d'un maire particulièrement cocasse, peuplé d'hommes et de femmes aussi grotesques que simplement humains... On se croirait dans un film de Jean-Pierre Mocky au meilleur de sa forme... Sans jamais négliger l'intrigue qui anime son histoire et ses personnages, l'auteur manie un humour aussi absurde que délectable, et nous incite à garder les yeux grand ouverts pour observer ce monde qui nous entoure. A chacun son Puffigny...

Franz Bartelt
, Ah, les braves gens ! Le Seuil / Cadre noir

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