24 avril 2011

Quand XIII fois 19, font un coup de génie !

Il y a presque un an, en me promenant du côté du musée du Moyen-Age de Cluny, j'ai découvert une galerie spécialisée dans la bande dessinée qui exposait les planches originales de la série XIII, une bande dessinée belge, réalisée par William Vance (et Jean Giraud pour un album) sur un scénario de Jean Van Hamme. Entre 1984 à 2007 19 albums fortement inspirés par les romans de Robert Ludlum ont connu un large succès qui se prolongera par une série télé. L'histoire commence avec un amnésique retrouvé sur une plage, qui, après s'être remis de ses blessures, part en quête de son passé avec pour seul indice le chiffre XIII tatoué au-dessus de sa clavicule gauche. D'épisode en épisode il côtoiera des hommes politiques, des gangsters notoires et des militaires comploteurs qui semblent en savoir plus qu'ils ne le disent sur son identité. Ce "pitch" doit évidemment vous rappeler quelque chose, à moins que ne vous viviez sur une île déserte...

Le marché des arts graphiques se porte-t-il bien ?

La galerie, dont je ne me rappelle plus le nom, ressemblait à Fort Knox, avec entrée à double sas et sécurité maximum. Les prix affichés sous les planches originales étaient dignes d'une exposition d'art contemporain de peintre réputé. Interrogé sur la démesure des tarifs annoncés, le galeriste, homme d'affaires international, trouva cela non seulement normal mais d'après lui, c'était un investissement qui ne pouvait que rapporter gros. "Si vous achetez aujourd'hui une planche originale à 10.000 euros, vous faites une affaire car la cote des BD en vente publique explose et peut-être bientôt en vaudra-t-elle 100.000." Sous-entendant que les investisseurs lorgnaient de ce côté au grand dam des authentiques collectionneurs de phylactères qui du coup, allaient devoir vider leur compte en banque pour acquérir une planche de leur auteur favori.

Lorsque la BD rejoint le cinéma, ou vice versa

13Laissons là le côté mercantile pour en revenir à la BD. Pourquoi en reparler si longtemps après ? Tout simplement parce que amateur de Jean Giraud, alias Moebius, célèbre dessinateur français qui a même eu droit aux cimaises de la Fondation Cartier jusqu'au mois dernier, je suis tombé sur un épisode de la série XIII dessiné par ce grand Maître du graphisme. Comme La version irlandaise correspondait au 18e épisode de la série, je me suis laissé tenter par la totale, ce qui me donne l'occasion non pas de parler des scénarios dont vous trouverez résumés et commentaires dans de nombreux blogs et sites faciles à trouver en tapant tout bonnement "XIII" dans les moteurs de recherche qui affichent plus de 9 millions de résultats. Ouf...

Une affaire de styles

Le style de William Vance se situe plutôt dans la catégorie feuilletoniste qui sévissait dans les grands quotidiens jusque dans les années 70. Un trait rapide, efficace, avec des personnages dessinés de profil ou de face, des positions de corps et de mains très stéréotypées qui sentent le technicien utilisant à plein son savoir-faire. N'oublions pas que ces dessinateurs, dont certains sont devenus des grands noms de la BD en albums, étaient obligés de produire un "strip" par jour, d'où, comme jadis les grands écrivains, une propension à utiliser un vocabulaire calibré lorsqu'ils produisaient des Trois Mousquetaires ou des Rocambole au kilomètre. Ce qui n'enlève rien à leur talent, car le trait de William Vance trouve toute sa force lorsqu'il interprète des paysages urbains américains en clair-obscur, avec des aplats d'encre de Chine particulièrement intelligents. Certaines cases sont de véritables plans cinématographiques et auront certainement inspiré des réalisateurs. D'ailleurs, son personnage principal fait irrésistiblement penser à une figure emblématique du thriller: Matt Damon dans la série des Jason Bourne. Les amateurs de dessin remarqueront aussi certainement la qualité des planches représentant des scènes sous la pluie, que Vance sait particulièrement bien reproduire à l'encre, utilisant avec habileté des traits de gouache blanche pour simuler l'averse. La mise en couleurs des albums est bien adaptée au dessin, utilisant des tons plutôt réalistes alors que parfois les bandes dessinées utilisent des couleurs vives destinées à renforcer les émotions du lecteur.

Un coup d'essai, un coup de maître

Passons maintenant à Jean Giraud qui a réussi à imposer son style personnel dans le cadre d'une bande dessinée pourtant quasi institutionnelle ! Je ne sais pas quelle fut la réaction des lecteurs en découvrant que leurs héros favoris s'étaient soudain transformés en Blueberry des cités. Un graphisme essentiellement au trait, les couleurs passées intervenant pour beaucoup dans l'ambiance sombre. De plus, Jean Giraud ose des positions instables, des trois quarts surprenants, des plans du dessus, du dessous... La BD n'est plus l'interprétation d'images cinématographiques, mais devient story board, avec toute l'imagination dont sait faire preuve ce grand bonhomme, n'hésitant pas par exemple à "bouffer" un visage en collant une bulle avec un texte à la place de la tête, ce que n'aurait jamais osé faire William Vance.

Vous l'avez compris, en fait, sur les 19 épisodes parus, c'est celui de la main de Jean Giraud que j'ai préféré. Mais je pense faire partie d'une très petite minorité d'amateurs de dessin plus que de romans graphiques. J'espère que les "treizophiles" me pardonneront mon parti pris.

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