Eh oui il faut savoir se baisser pour trouver une pépite. L'affaire se passe au sous-sol de Gibert (26-34, boulevard Saint Michel - 75006 Paris) il y a deux jours. Là où se retrouvent les amateurs de polars qui cherchent la perle rare dans la multitude d'occasions classées et qui plus est à prix plus que raisonnable. Cachées sous le comptoir d'accueil du rayon, il y a toujours deux ou trois caisses dans lesquelles sont entassés en vrac les polars de moindre importance. Je n'oublie jamais de jeter un œil sur ces rogatons car il m'arrive d'y dénicher de petits bijoux pour bibliophile. Le dernier en date est tout simplement une première édition de Dare-dare de Chester Himes dans sa belle robe noire et blanche des éditions Gallimard - Série Noire. Le papier est un peu jauni mais le livre est en parfait état au point d'hésiter à le relire sans risque de voir les pages se décoller. En général quand on a une bonne adresse de restau dans son carnet on hésite à la communiquer pour éviter de perdre le bénéfice de sa trouvaille mais comme je suis plutôt partageur je vous conseille donc de ne pas bouder ces caisses pour amateurs avisés... peut-être même que nous nous croiserons, penchés sur quelques polars inoubliables qui ne demandent qu'à trouver un nouveau propriétaire.
Quelques mots sur le livre de Chester Himes
Chester Himes est considéré par les spécialistes du genre comme un auteur majeur de la culture noire américaine (au sens humain et stylistique) même si c'est en partie grâce à sa rencontre avec Marcel Duhamel à la fin des années 50 qu'il orientera sa carrière d'écrivain exclusivement vers le polar. Ses premiers romans, plus sociaux, ne rencontreront pas leur public dans son pays natal et c'est en 1958 avec La reine des pommes qu'il voit enfin le bout du tunnel. Chester Himes privilégie l'action et le suspens mais il témoigne aussi de la condition des noirs au USA en milieu urbain. Dénonçant racisme et exploitation. Dare-Dare, le numéro 492 de la mythique collection Série-Noire dirigée par Marcel Duhamel pour Gallimard démontre la plénitude du style du romancier. Les personnages sont dépeints avec un réalisme qui échappe à la caricature encore trop souvent en vigueur à cette époque. L'histoire est relativement simple: Deux noirs, des travailleurs nocturnes irréprochables, sont assassinés dans la chambre froide d'un restau de quartier par un pochard blanc. Le tireur rate de peu le dernier témoin de son crime et va le poursuivre pendant 250 pages jusqu'au dénouement final. Bien sûr le lecteur ne sait pas qui est ce tireur au pistolet muni d'un silencieux et s'identifie immanquablement au jeune homme en danger même si celui-ci fait preuve d'une insouciance qui frise la bêtise. Tous les ingrédients du thriller à l'américaine sont en place dès les premières pages de ce texte qui se passe à New York au temps des grosses limousines et des bars louches où des créatures aux seins démesurés chantent le blues jusqu'à pas d'heure. On suit la course effrénée et maladroite de Jimmy, jeune étudiant et témoin du crime, qui se débat contre un destin inéluctable tiraillé par la trouille, l'amour pour une belle petite chanteuse de blues et l'hystérie d'une bande d'amis plutôt déjantés. En parallèle, deux inspecteurs blancs mènent l'enquête, Walker ambigu et gros buveur en compagnie de son beau frère Block, un dur à cuire qui a la tête sur les épaules. Le récit est haletant sans temps mort. Chester Himes connaît son affaire en nous plongeant dans cette fable brutale dans laquelle on retrouve l'ambiance des films noirs qui ont marqué les années 50/60. Les règles du théâtre classique sont en partie respectées puisque le récit se situe dans une zone géographique réduite et pratiquement en continu (à peine quelques jours au lieu de quelques heures habituelles). Le nombre de protagonistes est réduit et concentré sur quatre personnages majeurs. La lecture de ce roman qui portait un nom plus adapté en anglais: Run man run, fut un réel plaisir et démontre s'il en est besoin que comme pour la littérature classique la lecture d'un bon vieux polar est une nécessité pour celui ou celle qui veut s'immerger dans l'univers noir d'une Amérique incandescente.
Dare-Dare, Chester Himes traduction de Pierre Verrier, Série Noire Gallimard 1959
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