Carlos Salem fait partie de nos coups de cœur. Si vous avez lu la chronique de Je reste roi d'Espagne et d'Aller simple, vous savez déjà un peu à qui vous avez affaire. Avec cette interview, nous espérons vous donner encore plus envie de découvrir cet auteur aussi singulier qu'irrésistible.
Carlos Salem, né en Argentine en 1959, vit à Madrid depuis 1988. Trois de ses romans sont disponibles en français : Aller simple (Moisson rouge), Nager sans se mouiller (Actes Sud) et Je reste roi d'Espagne (Actes Sud)
LBdP : En plus de vos trois romans traduits en français, vous avez publié des récits et des poèmes. Comment avez-vous commencé à écrire? Quel a été votre premier travail publié?
Carlos Salem : J'ai commencé à écrire il y a longtemps, mais mon premier livre publié était Aller simple. Je pense que j'ai commencé à dix ans, surtout de la poésie, et à 20 ans je me suis confronté à la narration,avec plus d'enthousiasme que d'expertise. Alors j'ai continué à lire et à écrire, jusqu'à ce que sente que ce que j'écrivais ressemblait, au moins en partie, à ce que je voulais écrire.
LBdP : Vos romans ont une inspiration picaresque évidente. Quel est l'auteur qui vous a donné envie d'écrire?
Carlos Salem : Beaucoup d'auteurs, mais deux en particulier: Raymond Chandler et Osvaldo Soriano. J'ai lu ces deux écrivains quand j'avais 14 ans et j'en suis resté marqué à jamais. Mais je pourrais aussi citer Cortázar, Boris Vian, Stevenson, Conrad, de Calvin, et plus tard Paco Ignacio Taibo II, Daniel Pennac ... la liste est interminable ...
LBdP : Vos personnages et leurs aventures sont au-delà du rationnel. Est-ce pour vous un moyen d'échapper ou de lutter contre l'état de normalisation de la société dans laquelle nous vivons?
Carlos Salem : Je ne trouve pas que mes personnages soient si étranges, je pense qu'on nous vend un prototype idéal de la "normalité" qui n'a rien à voir avec la vie réelle. Si je m'évade, c'est sans intention, si je lutte, aussi. Je pense qu'il n'est pas mauvais, de temps en temps, d'administrer à la «rationalité» un peu de sa propre médecine, pour s'apercevoir qu'elle n'est pas si rationnelle ni si exacte.
LBdP : Vous aimez faire voyager certains de vos personnages d'un roman à l'autre. Est-ce un moyen d'établir la continuité, ou un clin d’œil?
Carlos Salem : Les personnages communiquent entre eux, car au bout du compte ils sortent tous de la même tête, des mêmes préoccupations et des mêmes expériences. Il est donc naturel qu'ils se rencontrent et interagissent, quand la situation l'exige. Je ne recherche pas ces rencontres, mais quand elles se produisent, je trouve que le résultat est bon. Du moins, j'essaie qu'il le soit.
LBdP : La musique latino-américaine - le tango et la musique espagnole sont très importants dans vos livres. Ecoutez-vous de la musique quand vous écrivez?
Carlos Salem : Oui, j'écris avec la musique, la radio, le téléviseur et la fenêtre ouverte. Je travaille mieux dans le bruit, parce que cela m'aide à m'isoler. Quant à la musique elle-même, je pense que c'est la poésie que l'on porte en soi, celle que nous citons et chantons sans même y penser quand nous éprouvons la beauté, la douleur, les sensations. Il est donc logique que certains de mes romans aient une bande son, mais ça n'est jamais planifié. La musique résonne, et si elle me plaît, je la laisse résonner.
LBdP : Contrairement à de nombreux romanciers américains ou européens, vous n'utilisez pas le jazz comme musique de fond dans vos romans. Votre choix de musique est-il une façon de revendiquer votre culture?
Carlos Salem : Pas nécessairement. En fait, dans certains de mes romans encore inédits, le jazz est la bande originale. Je suis un amoureux du jazz, je ne suis pas un grand connaisseur, mais j'aime beaucoup ça. Je pense que "coller" un certain type de musique à un roman comme un «cliché» ou un argumentaire de vente, est une erreur, tout comme prétendre qu'un roman est "pop" ou "rock". Si cela arrive, c'est pour une bonne raison. Mais si on l'utilise comme un ingrédient de recette de cuisine, cela se voit et ce n'est pas convaincant.
LBdP : Dans Je reste roi d'Espagne, vous soulignez le contraste entre la vie de la ville et les zones reculées de votre pays d'adoption. Comment expliquez-vous ce contraste, ou plutôt, comment le vivez-vous?
Carlos Salem : Je pense que ce phénomène se reproduit, d'une façon ou d'une autre, dans toute l'Europe, mais dans l'Espagne profonde, il est plus évident, du moins pour moi, qui y vis et qui connais bien le pays. Le contraste naît de la hâte de l'appartenance à l'Europe, d'être plus Européen que les autres. Et cela peut se comprendre, après 40 ans de dictature qui ont freiné le pays. Tout ce que je fais, c'est mettre ce phénomène en relief avec un peu d'ironie mais aussi beaucoup de tendresse.
LBdP : Vos romans ont aspect surréaliste et très visuel. Si vous pouviez choisir entre Luis Buñuel et Raul Ruiz pour adapter vos livres à l'écran, qui choisiriez-vous?
Carlos Salem : Buñuel est une tentation énorme, mais si je pouvais vraiment choisir, je crois que je verrais bien Tarantino et Kusturica en co-réalisateurs. Ou l'Espagnol Alexis de la Iglesia, qui travaille bien l'absurde et le brutal.
LBdP : Les femmes jouent un rôle particulier dans vos romans. Elles ne sont pas des héroïnes, mais des personnages qui ont un impact sur la vie sensuelle de vos héros. Pourriez-vous choisir une femme comme protagoniste principale de votre prochain roman?
Carlos Salem : J'ai deux romans en cours, qui mettent en vedette des femmes. Ils avancent lentement... Le rôle secondaire qu'elles jouent dans les romans parus ne vient pas d'une posture personnelle, mais plutôt des nécessités de l'histoire. Mais vous allez voir, mes protagonistes féminines arrivent...
LBdP : Je crois que vous organisez des ateliers d'écriture créative. Comment procédez-vous? Qui sont vos étudiants?
Carlos Salem : Je travaille avec des Espagnols à Madrid et avec d'autres élèves partout dans le monde, grâce à Skype. J'essaie de détecter les faiblesses de chaque élève, afin de les compenser tout en améliorant leurs points forts. Je ne suis pas dogmatique, mais j'ai une règle de base: si ça ne communique pas, si ça n'est pas compris, alors c'est que ça ne fonctionne pas.
LBdP : Pour terminer, voudriez-vous écrire quelques lignes sur un auteur qui vous est particulièrement cher ?
Carlos Salem : Oui, je pense à l'Argentin Osvaldo Soriano qui avait une certaine réputation en France dans les années 80. Il a été ma plus grande influence, à cause de sa capacité à combiner l'ironie et la rudesse, en intégrant du lyrisme dans ses textes, ce qui n'enlevait aucune efficacité à ses romans. Il fait partie des grands oubliés de la littérature latino-américaine, au moins du point de vue académique, parce que le public, lui, lui a donné une place méritée parmi les plus grands.
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