Je suis bien embêtée. Milieu hostile n'est pas un polar. Ce n'est pas un roman noir, plutôt tricolore, genre noir gris rouge. Et finalement qu'est-ce qu'on s'en moque... Milieu hostile, c'est de la littérature, c'est du style, c'est de la poésie, c'est du sens. Qu'est-ce que ça veut dire ? Eh bien, par exemple, ça, parlant d'une femme aimée : "Pas question de la livrer au caprice mystico-shooté à l'éphédrine de n'importe quel autonomiste Kashmiri bardé de dynamite ou Sikh maniaque de la sulfateuse, tandis que le Sang-Bleu s'escrimait sous la mousson à intimider une bande de fouille-merde égarés." Voyez ce que je veux dire ? Ce livre, il n'est pas question d'en lire deux pages, de relever la tête pour regarder un truc à la télé, puis de s'y replonger. L'auteur est exigeant : il veut votre attention. Et si vous ne la lui accordez pas, eh bien tant pis pour vous, vous ne savez pas ce que vous ratez !
Ça commence en Crimée, à Sébastopol. Dessaignes, bourlingueur français ex-facilitateur d'ONG en Russie, ex-traducteur juridique aux Etats-Unis, végète dans une méchante baraque à moitié en ruines qu'il retape pour sa propriétaire, une infirmière avec laquelle il entretient une relation à la limite du sado-maso... Qu'est-ce qu'il fout là ? C'est la première question qu'on se pose dès les premières pages. Qu'à cela ne tienne, ça ne va pas durer. Dessaignes n'est pas juste un paumé échoué là, déposé par une vague capricieuse de la vie... Informateur, graine d'agent secret... Bientôt on a besoin de lui. Plus exactement, son vieux complice Loutrel fait appel à ses services... et à ses réseaux. Une sombre affaire d'épidémie de syphilis plus ou moins réelle, de laboratoire pharmaceutique franchement louche, de trafics de médicaments, bref, tout ce qu'il faut pour se retrouver mouillé jusqu'au cou dans une histoire qui fait mal, très mal, et qui laissera des traces. Adieu Sébastopol...
Entre Sébastopol, Kiev, Vilnius et Paris va commencer une course éperdue, contre les bons et les méchants, et Dieu sait qu'ils sont nombreux. Bien sûr, on s'attache au héros, on le suit, on s'inquiète pour lui. Mais surtout on se dit, comme au comptoir du Café du commerce : "Mais dans quel monde vivons-nous?" Marignac a le don pour dépeindre ce monde globalisé où les frontières sont encore là, mais floues, où les ex-pays de l'Est, bien que sortis du carcan communiste, n'en sont pas moins restés des lieux de danger, de brutalité, et surtout le terrain de jeu de brutes, d'escrocs, de mercenaires, de trafiquants, d'hommes d'affaires véreux. Des lieux d'entre-deux, pas tout à fait dans le passé, pas vraiment dans le présent, et, espérons-le, pas encore dans l'avenir. Des lieux où les règles sont aussi floues que les frontières, où la vie n'a pas trop d'importance, bref où il vaut mieux ne pas s'aventurer sous peine de devenir, comme les protagonistes de cette histoire, des hommes et des femmes aux yeux vides, pour lesquels le mot "bonheur" n'a pas de sens... Marignac ne fait pas de concessions, il nous flanque au visage sous la forme d'une fiction une réalité dont nous nous croyons protégés. Sans oublier la poésie. Chapeau.
PS : Thierry Marignac signera son livre samedi 26 novembre à partir de 16h00 à la librairie Itinéraires, 60 rue Saint-Honoré - 75001 Paris
Thierry Marignac, Milieu hostile, Baleine
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