Iain Pears, docteur en philosophie et historien d'art, se fait rare dans les blogs consacrés au polar et au roman noir. Et pourtant, la plupart de ses romans mériteraient un plus large public. Outre sa série véritablement policière la plus connue, basée sur l'art italien, qui réunit une policière italienne et un historien d'art anglais et qui s'ouvre avec L'affaire Raphaël, Pears est l'auteur de romans "monuments" comme Le Songe de Scipion et Le Cercle de la croix, textes érudits et intrigues haletantes où l'histoire le dispute à l'action, où les personnages historiques réels côtoient sans la moindre gêne les héros issus de l'imagination de l'auteur.
Aujourd'hui, je voudrais vous parler d'un petit livre de Iain Pears, Le portrait. L'action se déroule au début du XXe siècle sur l'île de Houat, située au large des côtes bretonnes dans le prolongement de la presqu'île de Quiberon. Henry McAlpine, jeune peintre en vogue à Londres, décide sans qu'on sache vraiment pourquoi de quitter les mondanités et de s'exiler sur la petite île bretonne, qui n'a pas le charme de Belle-ïle ou de l'île de Bréhat, un lieu désolé, solitaire, âpre, sauvage. On saura simplement qu'il se détermine à la fuite après sa rencontre avec la très belle Evelyn, une jeune artiste peintre indépendante et fière. Quelque temps plus tard, son ancien complice des années de célébrité, le critique William Nasmyth, le rejoint à Houat et lui demande de faire son portrait. C'est le début d'une spirale infernale qui aspire le lecteur vers la terrible vérité...
Particularité du roman : il est entièrement écrit à la première personne, de la plume de Henry McAlpine qui s'adresse à son compagnon critique. Petit à petit, on commence à comprendre ce qui s'est vraiment passé à Londres, notre esprit de lecteur se rebelle à l'idée de se faire le complice involontaire d'une vengeance abominable... Pears a l'art de nous retourner, de nous effrayer, de nous faire douter à chaque détour de phrase, et surtout de nous imposer ce sentiment de fatalité qui va nous mener jusqu'au bout d'un cauchemar.
Au-delà de l'intrigue, c'est bien d'art et de création qu'il est question. Des deux protagonistes irréconciliables, le peintre et le critique... Une opposition qui se résume parfaitement dans ces quelques mots, dans la bouche de Henry bien sûr: "Un peintre est précisément ceci: un être qui prie avec son pinceau. Ce que le critique ne pourra jamais faire ni même comprendre." Le texte évoque avec une certaine cruauté les milieux artistiques et littéraires du début du siècle dernier, les mondanités, les intrigues, les calomnies. D'Oscar Wilde à Marcel Proust, de Sarah Bernhardt à Edouard Manet, Iain Pears sait planter avec un rare sens de la perspective le décor d'un monde redoutable, d'une société cruelle et vaine. Et surtout, il nous raconte avec virtuosité une parabole mi-cynique, mi-désespérée.
Iain Pears, Le portrait, traduit de l'anglais par Georges-Michel Sarotte, 10/18 Grands détectives
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