Chose promise, chose due, voici la chronique de la première enquête de Martin Beck, le flic créé par Sjöwall et Wahlöö dont nous avons déjà parlé il y a quelques semaines dans une chronique du deuxième volet de la série, L'homme au balcon. Là encore, on a du mal à croire que Roseanna a été publié pour la première fois en Suède en 1965. Ceux d'entre vous qui ont connu les années 60 en France se rappellent sans doute une vie insouciante, plutôt joyeuse, mais pas encore sortie de la gangue petite-bourgeoise qui éclatera avec mai 68. Visiblement, les Suédois avaient pris de l'avance puisque déjà les femmes y avaient acquis une autonomie remarquable. Dans Roseanna, la jeune policière qui va jouer un rôle central dans le dénouement de l'histoire vit seule, elle n'a apparemment pas d'homme dans sa vie... Ce n'était pas si fréquent en France à l'époque.
Roseanna McGraw est américaine, elle fait du tourisme en Europe. Et elle a la mauvaise idée de s'embarquer pour un périple en bateau sur les cours d'eau suédois. Périple au cours duquel elle rencontrera son assassin qui, après lui avoir fait son affaire, se débarrassera du corps en le jetant dans un lac. Martin Beck et son équipe prennent l'affaire en main. Dans le deuxième roman de la série, on pressentait déjà le sort conjugal peu enviable de Beck. Là, les choses sont claires : Martin Beck a épousé une jeune femme qui, au fil des années et des maternités, s'est transformée en une ménagère/infirmière à mourir d'ennui. Quant aux enfants, ils existent, mais guère plus ! Le roman se passe au moment des fêtes de Noël, et tout ce que cela évoque pour Beck, c'est la corvée des cadeaux de Noël et la cuite monumentale qui va s'ensuivre. La fête, quoi... Donc, l'inspecteur Beck n'est pas précisément un boute-en-train, et il préfère clairement son commissariat et ses enquêtes aux joies de la famille. Et pourtant, cette enquête-là va être une épine dans son pied. Les recherches sont déjà longues pour retrouver l'identité de la victime... Quant à celle de l'assassin, c'est une autre paire de manches. Tels des fourmis laborieuses, les flics de l'équipe vont rechercher un par un tous les passagers du bateau où avait embarqué Roseanna, les localiser, les interroger... en vain. Semaine après semaine, Beck persiste, opiniâtre, têtu, bien décidé à trouver cet assassin avant qu'il ne récidive. Et puis c'est le coup de chance : une silhouette masculine entrevue sur un film souvenir va devenir le centre de l'enquête. Ce n'est pas un hasard si le suspect n'a guère d'autre identité que ces contours flous, ces couleurs neutres, ce visage à peine entrevu. Ceux qui l'ont côtoyé sont incapables de le décrire tant il est banal. Le monstre est un homme très ordinaire... L'équipe de Beck, persévérante et déprimée, va mettre au point un scénario piège pour s'emparer du coupable dont ils pressentent enfin l'identité. Un scénario inavouable, puisqu'il met en danger la vie d'une jeune femme. Très étonnante, la façon dont Beck échafaude son hypothèse: à partir d'une intuition, d'une intime conviction en quelque sorte. Cet homme obsessionnel ne va pas hésiter à prendre des risques déraisonnables. Drôle de personnage que cet inspecteur peu bavard, solitaire et obstiné. Certains le comparent à Maigret. Je ne suis pas sûre que ce soit judicieux : si Beck comme Maigret mettent à jour les failles de nos sociétés, ce qui est quand même le lot commun de la plupart des flics récurrents, là s'arrête la similitude. Beck est un vrai solitaire, et il nous entraîne avec lui dans une désespérance, au rythme lent de la progression de ses enquêtes, au cœur d'une ville et d'un pays où la lumière ne gagne jamais.
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