3 mars 2012

Séverine Chevalier - "Recluses" : un roman noir foncé

En reposant ce livre après avoir tourné la dernière page, j'ai eu froid. Recluses porte bien son titre. C'est une affaire de femmes, de femmes enfermées chacune dans leur corps, dans leur histoire, dans leur solitude. Au début, Zora, la fille en robe jaune dans un supermarché. Dans son sac, une bombe. Explosion, morts, douleur. Et puis Suzanne, dans le même supermarché au même moment, avec son caddie et son fils Polo. Plus tard, Suzanne sans Polo, mais avec sa sœur Zia, handicapée, qui ne marche pas, ne parle pas, mais voit tout. Les deux s'embarquent dans un périple - pas un road movie, pas une errance, non un vrai périple sur les traces de cette Zora, cette fille en jaune à cause de qui Polo n'est plus là. Suzanne sort Zia de son Centre de soins, la colle dans la voiture et vogue la galère.
Direction le Sud, car c'est par là que mènent les traces de la fille en jaune. Puis un peu plus à l'Ouest. A peine le temps de se poser qu'il faut déjà repartir, avec un troisième voyageur, Vautour, rencontré au hasard des recherches. Repartir sur les traces de Jocelyne/Marie et son époux Jean/Zanek. Qui est qui ? Qui a fait quoi ? Qui fait semblant de quoi ? Y a-t-il vraiment une vérité à chercher? Est-ce vraiment la peine de tuer ?
Un roman "choral", est-ce qu'on peut dire ça puisqu'il est écrit à plusieurs voix ? Celle de Suzanne, celle de Zia, celle d'un narrateur anonyme, celle du capitaine Hame, celle de Harold Saw, expert psychiatre. Un texte qui ne laisse rien passer, exigeant du lecteur une attention de tous les instants. Une histoire d'enfermement, de folie, de mort qui ne se laisse pas apprivoiser facilement. Et pourtant, malgré la structure apparemment chaotique du récit, on tombe vite sous le coup d'une sorte de fascination hypnotique, d'un attachement irrésistible aux deux personnages principaux, Suzanne et Zia. Zia la muette qui en dit beaucoup plus que d'autres plus bavards, elle dont le corps à demi mort est une présence à la fois lourde et diaphane. Recluses est un roman de femmes, assurément. Les hommes qui le traversent n'y ont pas le beau rôle, c'est le moins qu'on puissse dire : violence, lâcheté, trahison, manque de clairvoyance... Rien ne leur est épargné. Tout en subtilité. Ces deux sœurs, celle qui est enfermée dans son histoire et celle qui est enfermée dans son corps, laissent derrière elles un fort sentiment de malaise, puis une émotion irrésistible, et, pour finir, la compassion. Un livre violent et imparable.
Séverine Chevalier, Recluses, Écorce éditions

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