Samuel Fuller avait "le cul entre deux chaises" comme on dit volontiers lorsque ni les uns ni les autres ne comprennent la portée politique d'un scénario pourtant clair. D'après Christa Fuller, mariée pendant trente ans au réalisateur, cette stupidité des distributeurs français était due à un antiaméricanisme latent en ce début des années 50, ajoutant même qu'un spécialiste comme Georges Sadoul faisait passer Fuller pour un fasciste alors qu’il votait démocrate. Le film irrita aussi bien Hoover que les communistes qui n'ont pas compris que le propos était avant tout de dénoncer des œillères politiques au profit d'une très belle histoire d'amour entre un Skip McCoy, un pickpocket interprété par Widmark et Jean Peters dans le rôle de Candy, une jeune femme manipulée qui ne sait plus où donner de la tête pour rester digne. Tout cinéphile qui se respecte aura aussi remarqué la prestation pathétique de Thelma Ritter en indic usée par la vie qui ne pense plus qu'à s’offrir un bel enterrement en vendant renseignements et cravates. Voir ou revoir ce film est un réel plaisir ne serait-ce que par la qualité des images avec ce port en clair obscur dans la plus pure lignée des polars en noir et blanc réalisés par un virtuose qui jouait de la lumière comme d'un Stradivarius. En revanche la simplicité du scénario, réduit à très peu de situations, personnages et lieux, laisse un peu sur sa faim l'amateur de film d'espionnage. La relation entre Skip et Candy est limitée au minimum syndical: la rencontre, le coup de foudre, le baiser et le sacrifice final. Rien de plus simple et efficace dans le traitement de ces deux personnages qui auraient certainement mérité plus de profondeur et sur lesquels un metteur en scène contemporain s'appesantirait certainement pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire. La façon de filmer très proche des acteurs avec des gros plans de plus en plus rapprochés lors des dialogues crée une intimité avec le spectateur. En plus la durée limitée du film, à peine 1h20, laisse très peu de temps aux digressions qui font pourtant souvent le charme d'une mise en scène progressive. Ici tout est dans l'urgence et on a à peine le temps de s'imprégner de la psychologie des personnages qui du coup peuvent friser la caricature notamment pour les seconds rôles (espions et flics). En tout cas pour rien au monde, même avec les directs à rallonge des différentes chaînes rabâchant les résultats des élections, je n'aurais raté cette diffusion d'un film emblématique d'une époque et d'un style, trop rare à la télé et qui de plus était enfin diffusé dans sa version originale.
Fred
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