15 août 2012

Ian Rankin, en toute liberté (3° partie)

Dans la troisième partie de notre feuilleton de l'été, Ian Rankin se lâche... Le monde des auteurs de polar, la folie du roman scandinave, les femmes et le roman policier, le prix du livre, l'e-book... Et si vous avez raté le début, retrouvez le premier épisode ici, et le deuxième là...

Le roman policier est très populaire en ce moment. Avez-vous une idée de la raison de cet engouement?
Oui, bien sûr. Le roman policier a mûri. Il n’y est plus question de crime uniquement. Dans beaucoup de pays a émergé l’idée que le roman policier est une forme littéraire sérieuse à part entière, qui raconte des choses sérieuses sur la société. Aux Etats-Unis et en Angleterre, on a encore tendance à penser que les romans policiers, ce sont des devinettes jetables qui servent à passer le temps.


En France, le courant néopolar des années 60 et 70 a probablement joué un rôle dans cette évolution.

En Angleterre, nous avons 20 ans de retard. Dans les années 80 sont apparus les jeunes auteurs qui, 20 ans plus tôt, auraient écrit de la littérature traditionnelle. Mais ils voulaient parler du bien et du mal, de la politique, de la drogue, du chômage, de la prostitution, du racisme… Et pour cela, quoi de mieux que le roman policier ? En Scandinavie, au début des années 60,  le couple Sjöwall et Wahlöö a écrit des romans incroyablement modernes. Hier encore, je demandais à mon éditeur pourquoi on ne trouvait pas davantage d’auteurs de polar français sur le « marché » international du livre… La seule bonne chose de cette mode délirante du roman scandinave, c’est qu’elle a ouvert le monde de l’édition à des cultures différentes. Mais cette folie a quelque chose de ridicule… L’autre jour, je lisais un roman de Jo Nesbo. A un moment, Harry Hole se fait trancher la gorge, il rentre à son hôtel et se recoud tout seul avec le kit de couture de sa chambre. Même pas besoin d’aller à l’hôpital ! C’est tout simplement grotesque. Même chose avec le tome 2 de Millenium. L’héroïne prend une balle dans la tête, est enterrée vivante, elle pisse le sang et pourtant elle se débrouille pour retourner à la ferme descendre son père…
Alors bien sûr, la question qui me vient à l’esprit est : et les femmes ? En fait, il y en a un certain nombre : nous avons Denise Mina, et d’autres excellentes auteures en Ecosse et en Angleterre. Vous avez Fred Vargas. Les femmes sont plutôt bien représentées dans le roman policier. Il y en a plusieurs parmi les best-sellers internationaux : Patricia Cornwell, Kathy Reichs, PD James, Ruth Rendell, etc. Même dans le passé, le roman policier était dominé par de grandes auteures, comme Agatha Christie. Mais il reste de la place ! Dans certaines cultures, il y a un manque, mais c’est aussi le cas dans d’autres domaines artistiques. Pourquoi ? A l’évidence, on peut répondre que les femmes sont retenues par les hommes qui sont déjà dominants dans ces domaines. En Angleterre, on parle de « plafond de verre » - on laisse les femmes progresser jusqu’à un certain point dans les entreprises, puis elles se heurtent à ce plafond invisible dont on ne parle qu’à mots couverts. Mais dans presque toutes cultures, ce plafond est menacé. Des fêlures apparaissent… 

Pour en revenir au monde des auteurs de romans policiers, il y a une chose qui me semble intéressante : cette solidarité. Nous constituons une sorte de bande, celle des écrivains qui ne sont pas pris au sérieux par les prix littéraires et le monde académique. D’emblée, nous avons quelques chose en commun. Si je rencontre Salman Rushdie ou Gabriel Garcia Marquez, je n’ai rien a priori en commun avec eux. Entre auteurs de polars, nous  nous entraidons. Il y a des rivalités et des problèmes d’ego bien sûr. Mais en règle générale, les choses se passent bien. Nous nous retrouvons dans les festivals et les conférences. En fait, c’est un peu lassant ! C’est pour cela que j’aime bien ce festival de Saint-Malo. Le thème de ma conférence est le rôle de la ville en littérature, et cela me plaît beaucoup parce que cela m’oblige à penser autrement. 
Ce qui me fait penser à mon dernier passage aux Quais du polar, à Lyon. J’y étais en même temps que Harlan Coben. Nous avions une table ronde, et avec les traductions, elle a duré plus de deux heures. Coben a pété un câble, il est remonté dans sa chambre et il n’est plus réapparu ! Il est à une étape de sa carrière où il gagne 9 millions de dollars pour 3 romans, alors il se dit : “Je n’ai pas besoin de faire ça. Quoi que je fasse, j’aurai mes 9 millions, à quoi bon…”

Ce que vous dites là me fait penser à James Patterson…
Oh, Patterson, c’est une industrie à lui tout seul! Un jour, j’étais à une réception à New York avec mon éditeur, qui est aussi celui de Patterson et de Michael Connelly. J’étais avec Michael et il m’a dit : « On ferait mieux d’aller lui dire bonjour, c’est lui qui paie nos droits… »
Au fait,  votre loi du prix unique du livre  existe-t-elle encore en France ?

Oui, absolument. 
En Angleterre, c’est la catastrophe absolue. Dans tous les supermarchés, vous avez les mêmes 10 auteurs dont les livres se vendent à 5€. Il faudrait subventionner les nouveaux auteurs, parce que quand leurs livres sont publiés, ils sont vendus à 25 ou 30 €… Personne ne les achète ! Il y a dix ans, cette situation n’existait pas, et du coup le marché était plus équitable. Ce qui me fait penser à ce deal entre Amazon et Waterstones. Les librairies Waterstones vont vendre le Kindle maintenant ! C’est l’histoire du lapin qui vend un fusil au chasseur. « Tu veux me tuer ? Achète-moi donc un fusil ! ». J’ai un Kindle, mais je ne l’utilise pas beaucoup, seulement quand je pars en vacances 15 jours. Je préfère vraiment les livres papier. Et je ne suis pas sûr que l’e-book va tuer le livre papier, tout comme les MP3 n’ont pas vraiment tué les CD. Aujourd’hui, les jeunes reviennent au vinyl ; ils veulent quelque chose de tangible. Lors de ma tournée américaine l’été dernier, mon éditeur m’avait dit : « Ne t’inquiète pas, tu signeras moins de livres papier, mais beaucoup de Kindle." Au bout du compte, j’ai signé… UN Kindle. Tout le reste était du livre papier. Les gens veulent des objets physiques, des livres. Sans compter qu’avec l’e-book, vous n’êtes même pas vraiment propriétaire. Il va falloir passer par cette étape où les gens se persuadent que c’est vraiment pratique… Puis nous reviendrons au livre...




En septembre, le quatrième et dernier épisode de l'interview, et bien sûr la chronique du nouveau livre de Ian Rankin, Plaintes, qui paraît aux éditions du Masque à la mi-septembre.

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