Eh non, malgré le titre, James Ellroy ne s'est pas mis au roman d'horreur. Hilliker, c'est le nom de sa mère, assassinée alors qu'il était enfant, quelques mois après qu'il l'a souhaité morte.Un crime dont Ellroy ne s'est jamais remis, mais qui est aussi le prétexte à des explorations douloureuses, saignantes et hantées, et qui a donné naissance au fameux Dahlia noir, même si la victime du livre n'était pas la mère d'Ellroy, mais une prostituée de Los Angeles. La malédiction Hilliker est la deuxième partie de l'autobiographie d'Ellroy, et elle est consacrée exclusivement à l'obsession qu'il nourrit pour les femmes, la poursuite des femmes, de préférence de grandes rousses, comme sa mère.
Le jeune James, après la mort de sa mère, prend très vite conscience de son attirance irrépressible pour le sexe, s'achète des lunettes supposées lui permettre de voir à travers les vêtements des femmes, se fait littéralement violer par une baby sitter allemande et pour tout dire se met en chasse. Chasser les femmes, chasser la femme, chasser la mère? Celle pour laquelle il a éprouvé une terrible passion sensuelle, celle qui l'a repoussé, celle qui a été assassinée par des inconnus qui le resteront. On se rappelle le documentaire American Dog, où l'on voyait Ellroy arpenter Los Angeles, enquêter, peut-être, rencontrer la police, les témoins, un docu filmé comme Ellroy écrit, avec des images crues, des changements de perspective abrupts, un rythme heurté, spasmodique. La malédiction Hilliker est écrit sur le même mode, sur ce plan-là, c'est incontestablement du Ellroy pur jus, d'autant que la traduction de Jean-Paul Gratias est tout bonnement formidable. Alors non, contrairement à ce qu'on a lu ici et là, on ne s'ennuie pas à la lecture de ce livre. La question est ailleurs, et c'est... la confiance. On sait à quel point Ellroy peut être cabot, fier à bras, menteur, champion de l'entourloupe. Il y a comme une contradiction entre l'idée même de l'autobiographie et ce qu'on sait de l'auteur : il se reconnaît lui-même cabotin, hypocondriaque, que sais-je encore. Crise de lucidité ou entourloupe majeure ? Voilà la question qu'on se pose au fil des pages, d'autant qu'on l'aura deviné, si le sujet est axé sur les relations d'Ellroy avec les femmes de sa vie, le livre tourne bien sûr autour de son nombril. En tant que femme, on éprouvera probablement beaucoup d'empathie pour Helen, l'épouse écrivain-psychologue-infirmière dont on sent bien qu'Ellroy lui reproche sa créativité, même quand il prétend vouloir l'aider... On se posera aussi des questions sur le caractère paradoxalement "a-sexuel" du livre, car si Ellroy y expose - sans pour autant les disséquer - ses obsessions, le texte, lui est rétrospectivement d'une froideur glaçante.
James Ellroy, La malédiction Hilliker, traduit de l'américain par Jean-Paul Gratias, Rivages
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