Théo, la quarantaine, sort de prison. Ce n'est pas un tendre : il a littéralement massacré son frère et l'a laissé à l'état de légume. Il faut dire que le frère avait couché avec sa femme... A sa sortie, déjà, l'homme a perdu une bonne partie de son humanité, c'est du moins ce qu'il croit. Plutôt que de se rendre auprès de celle qu'il aime, il se précipite à l'hôpital où vit son frère. Pourquoi ? Pour vérifier que le mal est fait et bien fait ? Il l'est... Puis c'est la fuite : Théo se retrouve en pleine campagne, s'installe dans un gîte, fait de longues marches et ne parle à personne, sauf à la propriétaire, une bien brave femme. C'est au cours d'une de ces randonnées qu'il tombe entre les pattes de deux vieux qui le capturent et en font leur esclave. L'histoire est simple mais glaçante.
La première question qu'on se pose une fois la dernière page tournée, et un peu de calme retrouvé, c'est : "Pourquoi ce sujet?" Pourquoi écrire l'histoire de cet homme qui tombe de prison en enfermement? Seule l'auteure pourrait donner la réponse. Pourtant, on ne peut s'empêcher d'observer que la prison, qui est pour tout un chacun synonyme de situation indigne, inhumaine, apparaît finalement ici comme une punition dure, certes, mais où les rapports humains, même violents, existent. Alors que dans l'enfermement de Théo l'esclave, attaché comme un chien et traité comme tel, il ne reste pratiquement plus rien de ce qui caractérise l'humanité. Lors des rares échanges entre Théo et ses geôliers, Joshua et Basile, ces derniers apparaissent comme deux déments totalement dépourvus du moindre sens moral, de la moindre empathie. Et au fil du temps, au fur et à mesure que s'amenuise l'espoir de s'enfuir, qu'il devient évident que nul ne lui viendra en aide, Théo finit par s'animaliser, lui aussi. Au point que lorsque les deux vieux lui infligent une correction mémorable, il se rappelle avoir été témoin d'une scène terrible, où un homme corrigeait un cheval rétif avec une violence inouïe. Théo a basculé, Théo est devenu ce cheval en souffrance, cet animal qui se débat de toutes ses forces pour échapper à la douleur.
La plus grande partie du livre, constituée par le journal de Théo, décrypté par une narratrice, est écrite à la première personne. Impossible d'imaginer un autre mode narratif : celui qu'a choisi Sandrine Collette nous plonge d'un seul coup dans le drame de Théo. Nous ne sommes plus des témoins, nous sommes Théo, et ça n'est pas une partie de plaisir. Même la nature, volontiers apaisante, devient dans le roman un ennemi terrible, hostile, un piège : "Pas une route, pas un village dans ce pays de merde! Des arbres, encore, toujours des arbres. Des arbres à n'en plus finir." Quant au corps de Théo, nous vivons sa dégradation, ses douleurs infinies, ses blessures, sa transformation comme si c'étaient les nôtres. "Le reste de mon corps n'était qu'une lamentation, un lambeau tout juste vivant. De jour en jour j'ai regardé bleuir puis jaunir ma peau couverte de marques de coups. On aurait dit un clown entièrement maquillé pour un spectacle étrange." Jusqu'à quel point Théo va-t-il supporter l'insupportable? Parviendra-t-il à échapper à son sort ? Et surtout, dans quel état ? Il ne vous reste plus qu'à lire ce beau roman très noir, écrit dans un style maîtrisé, celui d'une femme qui sait ce qu'elle veut dire et ne se laisse pas emporter par la violence de son propos.
Sandrine Collette, Des nœuds d'acier, Denoël collection "Sueurs froides"
Je viens de terminer le livre de S. Nicolle, que j'ai lu en deux jours. Je l'ai dévoré, devrais-je dire, tout au moins au début. Car rapidement, je suis resté sur ma faim. Je ne vais pas jouer les difficiles: c'est un bon livre. L'asservissement d'un quadragénaire fraîchement sorti de prison et pas vraiment tendre par deux vieux barjots armés d'un fusil deux coups et d'une batte me semble hautement improbable. Pourquoi? Parce que, selon moi, l'auteur n'a pas suffisamment fouillé, exploré les mécanismes qui permettraient de rendre la situation crédible. Du coup, on se trouve constamment en porte à faux entre les deux postions, celle de Théo face aux à Basile et Josha. J'ai pensé en lisant l'ouvrage à Misery et je me suis demandé ce qu'aurait tiré un S. KIng d'une histoire pareille.
RépondreSupprimeril me semble que être affamé, assoiffé, enchaîné, forcé à des travaux au-dessus de ce qui vous reste de forces, sont de bons motifs pour se soumettre. ce qui m'a intéressée dans ce livre, outre bien sûr l'évidence de ce qui mène un individu à la sujétion (voir le jeu triangulaire : l'intello qui veut survivre à tout prix/le marginal qui vit selon ses principes, et en meurt/théo) c'est le processus de déshumanisation des autres protatgonistes : les vieux, leur soeur, l'autre type. Un fond d'inceste, d'alcool, le chômage, les doigts qui ne bougent plus.... le fait de nommer "le chien" le prisonnier, qui permet de ne pas "savoir" que c'est un être humain, le "remord" jamais élaboré, jamais conscient, du frère qui répète "j'aimais mieux l'autre" après l'assassinat. et puis, jen 'ai pas creusé, mais il y a quelque chose dans le parallèle que théo fait entre les rapports entre lui et son frère et les rapports entre les deux vieux ; comme si, tout compte fait, ils étaient "de la même famille" (humaine) ; il faudrait voir l'absence de remord de théo qui va narguer son frère, et la mettre en parallèle avec l'absence de morale du groupe vieux/soeur/autre type. les seules vraies victimes sont les morts. les autres, somme toute, appartiennent au même monde, avec juste des degrés. (tout ça n'est que propositions auxquelles réfléchir ! j'ai juste lu ce livre, je n'en ai pas fait une étude :) )
RépondreSupprimerPS. j'ai un deuxième commentaire : ceux qui viennent en car visiter "les lieux, le parcours", se repaître du drame, sont-ils plus "humains" que les protagonistes de l'histoire ?
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