Jérémie Guez nous attendait au tournant... Voilà qu'il fait irruption dans la fameuse collection "Grands détectives" de 10/18. Pour un roman qui n'est pas un polar, le comble ! Un roman historique, puisqu'il se déroule pendant la guerre d'Indochine, entre 1946 et 1954. Un roman d'aventures, puisque son héros fait partie de la Légion étrangère. Un roman d'amour, puisqu'il tombe éperdument amoureux d'une jeune Indochinoise, dans le camp adverse. Un pari audacieux, courageux même, pour ce jeune auteur qui a séduit un public de plus en plus large avec une trilogie centrée sur Paris et sa banlieue, et surtout la vie de la jeune génération dans un contexte bien contemporain.
"Une guerre entre un tigre et un éléphant", comme le disait Ho Chi Minh, voilà ce que fut la guerre d'Indochine, avec l'issue qu'on connaît. L'histoire de Charles Bareuil commence pour nous à Marseille, en janvier 1946. Le jeune légionnaire embarque pour l'Indochine, presque deux ans après le débarquement sur Sword Beach, où il a failli laisser la vie. Quelques mois après la mort d'Elena, la jeune Croate qui portait son enfant, fauchée par une rafale tirée par un insurgé.
Partir le plus loin possible de la France, telle est la première motivation de Charles. "Sans ça, il se serait flingué." Charles se retrouve au milieu d'un univers d'hommes qui ont fui eux aussi, d'hommes de toutes origines, et il va devoir s'adapter à ce groupe où la hiérarchie doit s'imposer, où le courage doit se prouver, et où l'amitié survient soudain, sans crier gare, au beau milieu de la violence de la guérilla, de l'hostilité de l'environnement. C'est jusqu'à la fin de la guerre, en 1954, que nous allons accompagner Charles Bareuil. Le suivre dans le combat, voir ses camarades mourir, ses ennemis agoniser dans des conditions atroces. Le voir tomber éperdument amoureux, l'accompagner dans sa traque du tireur d'élite russe qui a rejoint le camp des Viet Minh. Bien construit, bien documenté, le roman restitue parfaitement cette vie entre hommes, la perte de repères de ces jeunes types venus faire la guerre sans savoir à quoi ils s'engagent, et qui en sortiront - s'ils en sortent - meurtris, inadaptés, marqués à jamais. Et souvent, paradoxalement, amoureux à vie de ce pays
La nature du roman même, sa longueur modeste par rapport à l'ambition de Jérémie Guez - embrasser les 8 années de guerre - l'amènent inévitablement à quelques raccourcis, voire à frôler certains préjugés. Il n'évite pas toujours la caricature du Viet-namien rusé, insensible et courageux, et c'est un peu dommage, même si l'on dit que derrière tout préjugé, il y a un fond de vérité... Et si on comprend bien sa volonté de raconter sans prendre parti, de laisser le lecteur à sa propre réflexion, cette distance par rapport aux événements, à la fois courte puisqu'on est sur le terrain, et longue puisqu'on se cale derrière le regard de l'auteur, laisse un petit arrière-goût de frustration.
Côté style, on aimait chez Jérémie Guez les phrases courtes, précises, pressées de ses premiers romans. Et c'est là, quand on commence la lecture, qu'arrive la première surprise. Car Jérémie Guez, dans son Dernier tigre rouge, choisit d'écrire autrement. Une narration minutieuse, attentive aux détails, classique, presque révérencieuse. L'auteur aurait-il ressenti un besoin d'humilité face à une histoire pas si lointaine, une histoire douloureuse qui a encore beaucoup de survivants et de témoins ? C'est vers la fin du livre qu'on retrouve le rythme auquel Jérémie Guez nous avait habitués. Une chose est sûre : on attend avec curiosité de voir dans quelle entreprise nouvelle va se lancer maintenant cet auteur étonnant, quelles surprises il nous réserve. On a confiance...
Lire les chroniques des autres romans de Jérémie Guez, ainsi que son interview.
Jérémie Guez, Le dernier tigre rouge, 10/18 "Grands détectives"
Bravo pou cette critique qui donne envie d'aller chez son libraire...
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