22 août 2014

John Harvey et les premiers pas de Charlie Resnick

Vous connaissez déjà un peu John Harvey à travers son interview par Mark Billingham à Harrogate (à lire ici). Le premier roman de la série Charlie Resnick, Cœurs solitaires, sort en 1989. Jusqu'à présent, John Harvey a fait ses classes d'auteur dans la littérature de genre (westerns, histoires de motards et autres joyeusetés). Là, il vient de terminer le tournage d'une série policière située à Nottingham, sa ville. Et l'idée se précise: un héros de "procédural", des intrigues multiples, les rues de Nottingham, la société anglaise et ses maladies. Charlie Resnick est né. D'origine polonaise, l'homme est grand, bien bàti avec une tendance à l'embonpoint due à son abstinence côté sport. Divorcé, il vit seul avec ses quatre chats chéris dans une maison où flotte encore le fantôme de sa femme partie vivre sa vie ailleurs. Dans une des pièces, sous la couche de peinture, on distingue encore les motifs d'un papier peint pour enfant, l'enfant que le couple n'a jamais eu. Dans le salon, les disques de jazz de Charlie, Johnny Hodges, Charlie Parker, Lester Young. Dans la cuisine, de quoi fabriquer les sandwiches dont Resnick semble faire l'essentiel de son alimentation: pain de seigle, oignons, saucissons divers et surtout "gherkins", ces gros cornichons marinés. Au commissariat, l'équipe de Resnick. Le jeune Patel, flic pakistanais, timide mais malin. Naylor, jeune mariė pris entre l'enclume du travail et le marteau de la vie domestique. Divine, le macho de service. Et Lynn Kellogg, brillante et promise à un bel avenir.


Cœurs solitaires commence par la découverte du corps de Shirley Peters, jeune femme qui élève seule ses deux enfants après s'être séparée de son ex-compagnon, un type violent et franchement à la masse. L'entourage de Shirley est unanime: son ex, Tony McLiesh est le suspect n°1. L'équipe de Resnick se rend à l'évidence et arrête Tony. Mais survient un deuxième meurtre, dont le "modus operandi" ressemble fort à celui de Shirley. Et l'enquête révèle un autre point commun entre les deux affaires: les deux victimes étaient adeptes des rencontres par le biais des petites annonces du journal local, la rubrique "Cœurs solitaires". Eh oui, Meetic n'a rien inventé! L'enquête de Resnick le conduit au cœur de la solitude, une contrée qui ne lui est pas inconnue. Et Harvey fait preuve, dans ce premier roman, d'une véritable virtuosité dans la construction, d'un style qui ne se prive pas de métaphores saisissantes, de digressions perspicaces sur le sort des hommes et des femmes, de saillies d'autant plus drôles et cruelles qu'elles sont inattendues. Et surtout, il nous offre des personnages féminins particulièrement réussis, dépeints sans complaisance mais avec une clairvoyance rare.


Le deuxième épisode de la série, Les étrangers dans la maison, présente une première particularité: il n'y a pas de meurtre. Et on ne s'ennuie pas pour autant. Au dėbut du roman, on accompagne Maria, épouse d'un réalisateur télé en perte de vitesse, dans son ennui et ses dérives alcoolisées. De la baignoire au peignoir et retour, du verre d'alcool au roman "cheap" déjà lu cent fois, Maria se traîne. Jusqu'au moment où elle se retrouve face à face avec deux hommes, dans son salon. Et là, rien ne se passe comme on pourrait l'attendre. Maria se montre coopérative, ouvre le coffre-fort, le vide dans les mains des deux hommes. Et donne même ce qui ne lui appartient pas : un bon gros paquet de drogue que son mari, Harold, avait accepté de garder quelques jours. Elle accepte aussi de donner de ses cambrioleurs une fausse description afin d'égarer la police. C'est que cette pauvre Maria est en mal d'amour, et qu'elle a cru déceler du désir chez l'un de ses deux assaillants, le Polonais Grabianski.  Qui va jouer un rôle singulier et décisif dans l'enquête de Charlie Resnick. Une enquête où les méchants ne sont pas forcément ceux qu'on croit, où l'on découvre derrière une vague de cambriolages un réseau de trafiquants de drogue dénués de tout sens moral, et où une certaine forme de rédemption n'est pas exclue. Un roman où Resnick, toujours aussi seul, essaie de vendre sa maison hantée par les souvenirs, et du même coup de rompre avec la solitude.  Avec, en prime, une vision toute personnelle et absolument savoureuse des milieux de la télévision. John Harvey tient son cap et livre là un roman foisonnant, lucide et drôle.
John Harvey, Cœurs solitaires et Les étrangers dans la maison, traduits de l'anglais par Olivier Schwengler, Rivages/Noir

4 commentaires:

  1. J'ai une pensée pour Resnick à chaque fois que je glisse un cornichon aigre-doux dans un sandwich, c'est à dire souvent. Je me rends compte en lisant ces lignes à quel point les personnages de John Harvey sont gravés dans ma tête. Et puis ça me fait penser que j'ai oublié de me procurer le dernier Harvey. Deux fois merci, donc.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. ;-) Merci ! Et le dernier Resnick à paraître à la rentrée...

      Supprimer
  2. Dans "Coeurs solitaires", c'est la deuxième victime qui élève seule deux enfants, après avoir divorcé...

    RépondreSupprimer

Articles récents