4 août 2014

SJ Watson et Sophie Hannah : le sage et la tornade (Harrogate)

 

Vous connaissez tous SJ Watson et son best-seller mondial Avant d'aller dormir. Si ce n'est pas le cas, il est encore temps de rattraper le coup avant la sortie fin septembre de son adaptation au cinéma par le réalisateur Rowan Joffe, avec Nicole Kidman et Colin Firth. Une petite bande annonce, peut-être : 

 

Sophie Hannah est une auteure anglaise. Poète à l'origine, elle se tourne vers le roman et publie son premier thriller psychologique, Little Face, en 2006. Ses deux héros, Simon Waterhouse et Charlie Zailer, lui ont valu plusieurs prix littéraires. Deux de ses romans ont été adaptés pour la télévision anglaise. Sachez qu'elle vient de sortir un nouveau roman, Meurtres en majuscules, qui met en scène... Hercule Poirot, le détective belge créature d'Agatha Christie, et qui sortira en français au Masque en septembre prochain. Trois titres signés Sophie Hannah sont déjà disponibles en Livre de poche (Pas de berceuse pour Fanny, Les monstres de Sally, La proie idéale). La femme est incroyablement charismatique, très bavarde et très drôle. C'est dire si SJ Watson a eu du mal à en placer une. Voilà donc un échange vif, enlevé, rebondissant et plein de digressions. Enjoy !

SH Je suis très douée pour faire les choses déraisonnables. Et puis il y a un peu d'obsession chez moi. Ce qui nous motive, c'est cela : ne pas comprendre les gens, ne pas pouvoir les déchiffrer, ne pas pouvoir résoudre le mystère des gens. Pour moi, s'il y a un mystère, il faut que je le résolve. Mais pas de façon spéculative, non, de façon extrêmement concrète. Il faut que je pose les questions, que j'enquête sur le terrain. Je suis très obsessionnelle.

SJW Oui, et il ne s'agit pas de résoudre une énigme. Nous ne voulons pas laisser aller les gens et les choses, nous voulons comprendre pourquoi de telles choses arrivent.

SH La différence entre les histoires de mystère et la vraie vie, c'est que dans la vraie vie, au bout d'un certain temps, on finit par se dire "Oh, on va passer à autre chose". En littérature, pas question! Ce serait un roman policier très expérimental que celui où, au beau milieu de l'enquête, le détective dirait "Bon, j'en ai assez, tant pis, passons à autre chose."

SJW Si mon ordinateur tombe en panne, je vais passer la journée à essayer de comprendre ce qui se passe au lieu de l'apporter chez le réparateur. Il faut que je comprenne pourquoi cette chose ne fait pas ce qu'elle est supposée faire. C'est sans doute pour ça que nous sommes auteurs de polars...

SH Ca me rappelle une histoire idiote. A l'époque, je travaillais encore dans un bureau, et mon ordinateur faisait un bruit épouvantable. J'ai tout essayé avec la hot line, rien à faire. Donc le réparateur est monté à mon bureau, il a regardé partout, puis il est sorti. Il est revenu et m'a dit : "La femme de ménage est en train de passer l'aspirateur." Vexant. Mystère résolu. C'est un peu ça qui m'agace chez ceux qui disent qu'ils n'aiment pas les romans policiers. Car en fait, le roman policier est certainement la littérature qui est la plus proche de nos préoccupations humaines. Toute la vie est faite d'énigmes. Nous rencontrons tous les jours des personnes nouvelles, dont nous ne savons pas si elles vont être positives ou négatives pour nous, des gens qui ne sont pas ce qu'ils paraissent. Le mystère des gens est constitutif de nos vies, et le roman policier est le genre qui met ce mystère au centre de tout. Le roman policier nous dit qu'il ne faut faire confiance à personne, et qu'il faut faire la différence entre les bons et les méchants. Et pour moi ça ressemble beaucoup à la vie. Votre roman, Avant d'aller dormir, par exemple, est très lié au mobile. Il parle des relations entre les gens, il n'y a pas de crime organisé, pas de CIA. Pensez-vous qu'il soit plus facile de parler de mobile plutôt que de crime organisé?

SJW Oui, pour moi ce qui est important c'est la compréhension du personnage. Quand quelqu'un en tue un autre pour de l'argent, c'est logique, c'est presque normal. Mais ça ne m'intéresse pas beaucoup. Ce qui m'intéresse, c'est de me confronter à un crime qui est difficile à comprendre. Quand j'écris, j'ai besoin de savoir qui est le méchant, et le pourquoi de cela. Je ne l'explique pas nécessairement sur le papier, mais j'ai besoin de savoir.

SH Oui, le "pourquoi" est primordial. Non pas la raison mécanique pour laquelle les gens font certaines choses. Quand on rencontre quelqu'un d'étrange, très souvent, il n'y a pas d'histoire d'enfant dans le placard, ça n'est pas si simple. Souvent, on dit "il vient d'une famille très unie, très heureuse. Pourquoi est-il devenu un dangereux psychopathe ?" Tout cela ne nous dit rien : même une famille qui semble unie et heureuse peut avoir un potentiel de nuisance terrible !

SJW Oui, je déteste ces livres où, à la page 187, le très méchant avoue "oui, quand j'étais petit, ma mère a jeté mon jouet favori." Il n'y a jamais de réponse facile.

SH Ce qui compte vraiment c'est pourquoi le crime a été commis, et non pas qui l'a commis. Je commence par là, toujours. J'évite toujours le motif financier, parce qu'il est transposable à n'importe quelle histoire. Ca pose un problème éthique, mais pas un problème de compréhension. Je cherche toujours un mobile qui soit très étrange. Et même je cherche quelque chose dans ma propre vie : si un tel m'avait fait telle ou telle chose à un certain moment, je pourrais le tuer, même si je l'aimais beaucoup. J'adore écrire sur des événements complètement uniques : c'est pour cela que j'adore votre livre. La simple idée de cette femme qui s'éveille tous les matins en ayant oublié sa vie, j'ai trouvé ça absolument formidable.

SJW Et aussi ce qui est intéressant, c'est quand l'horreur vient de ceux qui nous sont proches et en qui on a confiance. En tant que lecteur, c'est cela qui me fascine le plus. Et cela arrive probablement plus souvent qu'on ne croit. L'invasion de son chez soi par ce qui est le plus menaçant, c'est terrible.

SH Oui, je crois que les situations étranges que nous décrivons sont probablement moins fréquentes que ces histoires de serial killers psychopathes qu'on croise au coin d'une rue... Mais l'idée que le mal le plus effroyable est celui qui vient de nos proches est vraiment terrible. J'avais une thérapeute qui me disait que 95% des personnes qui venaient la voir souffraient de troubles psychologiques sévères. Attention, elle ne parlait pas de moi. Moi, j'avais de tout petits problèmes, dont j'étais probablement entièrement responsable ! Mais ces gens qui étaient terriblement atteints payaient le prix de quelque chose qu'ils avaient vécu chez eux, dans l'enfance ou la jeunesse, dans leur famille d'origine. Presque toutes les souffrances psychologiques viennent de la famille ou de l'entourage.

SJW Souvent aussi, nos personnages subissent des choses communes, mais ils y réagissent de façon unique et étrange.

SH Quand j'ai écrit mes deux premiers romans, le méchant était simplement le méchant. A mon troisième roman, à cause de l'histoire, je me suis rendu compte que j'éprouvais une sympathie très grande pour le meurtrier, qui était dans une grande souffrance. Je n'ai aucune expérience de personnes qui soient dans le mal absolu. En revanche, j'ai une grande expérience de personnes apparemment normales mais qui, à cause d'une combinaison particulière de souffrances et de douleurs, deviennent capables de faire des choses horribles ! Après cela, je me suis efforcée d'écrire des romans qui ne portaient pas de jugement. Le plaisir, pour le lecteur, c'est d'arriver à l'explication, et de la comprendre, mais pas de mépriser et d'humilier le meurtrier !

SJW Oui, c'est un peu trop facile, ces romans où le méchant est vraiment totalement méchant, le mal à l'état pur. J'ai souvent un faible pour les méchants...

 SH Dans Avant aller dormir, il est clair que le méchant n'opère pas à partir d'une position de force, mais à partir d'une situation de souffrance extrême. Quand une personne décide de faire quelque chose de terrible, ce n'est pas comme ça, à partir d'une position de force, mais parce qu'elle est poussée par quelque chose d'irrésistible, à laquelle elle n'a pas la force de résister. Vous disiez que pour vous, tout était dans le personnage. Moi, il me semble que structurellement, le genre polar consiste à dire qu'on ne connaît personne tant qu'on n'a pas vu ce qu'il a fait. Et dans votre roman, c'est exactement ça pour tous vos personnages.  

SJW Je crois que c'est parce que dans ce livre, tous portent des masques. Moi aussi, je porte un masque en ce moment même. Nous présentons des aspects différents de nous-mêmes dans chaque situation. Nous sommes tous comme ça, même vis-à-vis de nous-mêmes. Qu'arrive-t-il quand le masque glisse, fond, tombe?

SH Oui, les personnages ne sont pas des êtres fixes. Pour moi, le plus important, c'est l'intrigue. Je ne crois pas que le personnages soit un élément ancré auquel on peut s'accrocher quand on écrit. Ils changent tout le temps, montrent différents visages.Tandis que l'intrigue, elle, est solide. C'est pourquoi je commence toujours par l'intrigue. Ensuite, je vois comment les personnages vont s'y inscrire.

SJW Mais quand même, les personnages doivent avoir une certaine cohérence, sinon... Il faut aimer ses personnages, non ?

SH Oui, bien sûr. Ce que je veux dire, c'est que je ne démarre jamais en me disant : "Je veux parler de cette personne et raconter ce qui lui arrive." Ce qui m'intéresse, c'est la façon dont une intrigue tordue peut modifier le comportement des personnages. Pour ma part, je ne suis pas sûre que tout le monde porte un masque en permanence. La plupart du temps, nous nous trouvons dans la position d'humains occidentaux et civilisés, dans des situations confortables, nous avons des comportements raisonnables. Nous n'avons pas besoin de nous cacher. Du coup, notre personnalité authentique n'est jamais au grand jour. C'est pour cela qu'il nous arrive de dire, face à une crise qui touche une personne qu'on croit connaître : "Ca fait des années que je la connais, jamais je ne l'aurais crue capable de faire une chose pareille." Un jour, je conduisais ma voiture - je conduis très mal - et je bavardais avec mon passager, une personne terriblement correcte. Je suis rentrée dans la voiture de devant - oh rien de méchant!-. Pour moi, c'était une chose très ordinaire. Et mon passager, qui ne savait pas conduire, a réagi de façon totalement hystérique et m'a dit "vas-y, fonce, fonce, il n'a rien vu!" Incroyable ! Pour moi, les personnes les plus dangereuses sont celles qui se croient bonnes. Elles me font peur. Donc je n'ai jamais de personnages comme ça dans mes romans. Pour parler de tout autre chose, Avant d'aller dormir était votre premier roman, et il est devenu tout de suite un succès mondial, une véritable révolution dans le monde du thriller. Saviez-vous avant cela que ce allait être un tel succès ? En quoi est-ce que cela a influencé votre travail?

SJW Non, je n'en avais aucune idée. J'écrivais depuis longtemps déjà. Mais c'était la première fois que j'écrivais une histoire que je portais en moi. Je me disais "Tiens, il va peut-être publié, celui-là." Rien de plus.

SH Et quand vous avez compris le succès, est-ce que ça a été brutal ou progressif?

SJW Progressif. Je suis passé du stade "Tiens, je vais peut-être être publié" au stade "Tiens, il est sorti", puis "Tiens, il marche pas mal" et enfin "C'est un vrai succès." Et le summum, ça a été quand j'ai vu le film pour la première fois. J'ai pleuré à la fin, de sorte que le réalisateur pensait que j'étais déçu ! J'ai été obligé de le rassurer. Il y avait toutes ces images, et puis tout à coup, sur l'écran, Nicole Kidman, vous imaginez ça ! J'étais passé de ma bulle personnelle, où j'étais resté longtemps, à cette reconnaissance mondiale. Attention, je ne me plains pas. Mais c'était assez angoissant finalement.

SH Et le prochain, est-ce qu'on peut en parler un tout petit peu...

SJW Pas vraiment... Avec Twitter, Facebook, nous sommes en prise directe avec les lecteurs, nous pouvons contrôler notre propre communication, tout en présentant des visages différents, et ça change tout. Je peux juste vous dire qu'il s'agit d'une femme qui a dans son histoire des démons très puissants. Elle a une vie confortable, elle éduque son fils adopté, dont la mère biologique est sa propre sœur. Et quand le livre commence, la sœur est assassinée. C'est donc un roman policier, mais ça parle surtout de l'effet que le crime va avoir sur la vie de cette femme.

SH Donc c'est un livre où le cœur est le mystère, l'intrigue.

SJW J'aime bien jouer au chat et à la souris avec mon lecteur, c'est vrai.

SH A deux reprises, dans Avant d'aller dormir, vous poussez votre lecteur à se tromper tout seul, de façon très maline. A un moment crucial de l 'intrigue, vous prenez du recul, et vous laissez votre lecteur s'égarer tout seul.

SJW Je cherche, je cherche...

SH  PD James, dans Innocent Blood, fait la même chose. Le pire, c'est quand l'auteur ne fait absolument rien, mais laisse le lecteur s'emberlificoter dans ses propres idées préconçues, et foncer tout seul dans le noir, et dans l'erreur ! J'ai fait ça dans mon premier roman.

SJW Oui, maintenant je crois que je vois le passage dont vous parlez. Et je me rappelle effectivement que je l'ai fait délibérément, sans donner de fausse indication pourtant. Je me suis dit "A ce stade, le lecteur doit penser ceci et cela. Donc il va en déduire que...".

SH Quand vous commencez à écrire, connaissez-vous le début, la fin et les principaux points intermédiaires?

SJW Quand j'ai commencé Avant d'aller dormir, je connaissais l'ouverture et le dénouement, la vérité. Je savais que pour aller du départ à l'arrivée, il me faudrait poser des jalons. J'aime bien poser mes personnages sur les scènes, et les regarder, pour voir ce qu'ils vont faire et comment ils vont réagir..

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