1 avril 2015

Ian Rankin, l'interview en roue libre - Millésime 2015 ! QDP 2015

Depuis la publication de Debout dans la tombe d'un autre (Le Masque - voir chronique ici) en automne dernier, j'attendais l'occasion de poser à Ian Rankin toutes les questions soulevées par le grand retour de John Rebus. Il était à Lyon, aux Quais du polar, le week-end dernier. Je l'ai arraché quelques minutes à ses nombreux fans. Et comme à son habitude, il s'est montré disert et passionnant, merci à lui. Voilà, c'est pour vous.




Le retour de Rebus, avec Malcolm Fox ! Racontez-nous l'histoire.
Rebus a pris sa retraite dans Exit Music. J'ai créé Malcolm Fox, que j'ai trouvé intéressant. Et j'ai découvert qu'aux Internal Affairs, où il travaille, on ne pouvait pas rester plus de 5 ans. Puis j'ai eu l'idée d'une histoire qui tournait autour d'une affaire non résolue. Et là j'ai su que je pouvais faire intervenir Rebus : à Edimbourg, nous avons un service de police qui travaille sur ce genre de cas, et qui fait appel à des retraités de la police. En le rappelant, j'ai pensé que Rebus était exactement le genre de flic sur lequel Fox pouvait enquêter, le type qui transgresse les règles. L'idée de faire travailler les deux ensemble m'a paru intéressante, ça m'amusait beaucoup. Et puis a posteriori, après la publication de Debout dans la tombe d'un autre, je me suis aperçu que les lecteurs pensaient que Fox était le méchant ! Tout le monde aime Rebus, et Fox s'opposait à lui. Donc automatiquement... Je me suis dit : "Mon Dieu, mais qu'est-ce que j'ai fait?" Tout le monde disait : "J'aimais bien Fox dans les deux premières histoires, mais là..." J'ai donc décidé de lui donner un rôle plus positif dans le roman suivant Saints of the Shadow Bible (qui sort en France en septembre). Dans celui qui sort en novembre au Royaume-Uni, j'ai réuni tous les protagonistes : Rebus, Fox, Siobhan et Cafferty, ils sont tous de retour. Et dans celui-là, Fox est vraiment du bon côté.

Et Rebus et Fox commencent à s'apprivoiser?

Oui, la glace a fondu... En plus, Fox est devenu très proche de Siobhan : leur relation a évolué entre deux livres.
 
Fox et Rebus : deux faces d'une même pièce ? Votre côté ombre, votre côté lumière ?
Je ressemble davantage à Fox et à Siobhan qu'à Rebus. Il m'est plus facile de m'identifier avec Siobhan ou Fox qu'avec Rebus, paradoxalement. En réalité, je verrais plutôt Rebus et Cafferty comme les deux faces d'une même pièce. Tous les deux ont des passés assez comparables, et des visions de la vie assez proches finalement.

Depuis le début de votre série avec Rebus, pensez-vous que le mal a changé dans le monde, qu'il est devenu plus menaçant ?
C'est bien possible... Aujourd'hui, il y a beaucoup de choses terribles qui se passent dans le monde, et que je ne peux pas aborder dans un roman. Comment écrire sur les attentats contre Charlie ? Comment écrire sur le Moyen-Orient ou l'accident d'avion en France ? Je viens de lire le livre de Michel Bussi, Un avion sans ailes, dans lequel il y a un accident d'avion où seul un bébé survit. Je l'ai terminé la veille même du crash... A Edimbourg, nous avons organisé un rassemblement au Consulat de France pour Charlie Hebdo. En venant de l'aéroport à Lyon, je suis passé devant une école juive qui était gardée par des hommes en armes. C'est terrible... En Ecosse, nos Nationalistes ont fait mieux que votre Front National aux élections. Mais nos Nationalistes sont de "bons" nationalistes. C'est toujours la même histoire : crise économique, incertitude politique. Quand les gens ont l'impression qu'il n'y a pas d'issue, ils se tournent vers l'extrême-droite. L'ennemi, c'est les autres. Au cours des dernières élections européennes, le parti UKIP a obtenu un représentant en Ecosse. On dit toujours que l'Ecosse est beaucoup plus à gauche que l'Angleterre, mais ça n'est pas aussi simple que ça. Les faits sont là. En Ecosse, les gens en veulent à l'immigration, à l'Europe... C'est la même chose qu'ici. Je vivais en France en 2002, quand Le Pen est arrivé au deuxième tour. Les romans policiers peuvent prendre en compte tous ces problèmes, avec les implications morales de tout cela. Mais ils doivent être réalistes aussi.

Pourquoi avez-vous fait sortir Rebus d'Edimbourg?
Peut-être un peu par paresse. Avec ma femme, nous avons acheté une maison dans le nord de l'Ecosse. Alors je me suis mis à prendre cette fameuse route A9 de plus en souvent. Une route, cela peut être vécu de façons très différentes. Certains prennent une route et ne s'arrêtent jamais, certains se dépêchent, ont hâte d'être arrivés. D'autres vivent au bord de cette route et la connaissent sous un autre aspect. Il y a une étrange sous-culture de la route qui m'intéressait. Et puis j'avais envie de parler de l'Ecosse, et plus seulement d'Edimbourg. Je voulais aussi sortir Rebus de sa zone de confort. Dès que Rebus sort d'Edimbourg, il perd ses repères, il se sent perdu, il ne comprend plus le monde qui l'entoure et ses évolutions. C'était intéressant aussi de montrer que l'Ecosse, qui est un petit pays géographiquement parlant, est en fait un territoire extrêmement divers. Il suffit d'aller à Inverness, qui est à environ 200 km de Edimbourg, pour s'apercevoir de l'énorme différence. L'accent est différent, la philosophie de vie est différente, les problèmes et les préoccupations sont différents. A Edimbourg, les habitants ne supportent pas que les Londoniens aient davantage d'argent et de pouvoir qu'eux. A Inverness, les habitants ne supportent pas que les gens d'Edimbourg aient davantage d'argent et de pouvoir qu'eux!

Et l'unité écossaise, ça existe ?
De l'extérieur, les gens ont l'impression que les Ecossais sont différents. Mais à bien des égards, ça n'est pas le cas. Pour le référendum, on a donné le droit de vote aux jeunes à partir de 16 ans. Les pro-indépendance pensaient qu'ils allaient voter oui, s'imaginant que les jeunes se montreraient idéalistes. En réalité, ils ont massivement voté pour le "non". Quand on leur demande "pourquoi?", ils répondent : mais pourquoi voulez-vous qu'on se sépare des autres ? Les jeunes vivent dans une sorte de communauté virtuelle grâce aux réseaux sociaux et à l'internet. Ils ressentent réellement ce lien avec le monde entier. Et c'est vrai qu'en apparence, ce lien existe. On a accès à des informations du monde entier, en un clin d’œil. Quand je fais une tournée mondiale, je reçois des informations tout le temps.

Quand vous écrivez un roman, vous pensez à ce qui va se passer dans le suivant?
Non, jamais. Quand j'écrivais Saints of the Shadow Bible, je suis allé à une soirée où on remettait une récompense à un flic qui partait à la retraite, une montre en or je crois. Et ils racontaient des histoires incroyables sur les pratiques de la police dans les années 70 et 80, tout ce qu'on pouvait faire alors qu'on ne peut plus faire maintenant. C'était l'époque des débuts de Rebus, le temps où il était encore un jeune flic idéaliste. Je me suis dit que ce serait passionnant d'aller fouiller du côté de ces vieux flics, de leurs pratiques, de ce qui a fait de Rebus ce qu'il est devenu. Et puis il y a eu autre chose : la loi a changé en Ecosse. Autrefois, une fois que vous étiez jugé pour une chose, on ne pouvait pas vous poursuivre une deuxième fois pour le même motif, même s'il y avait des faits nouveaux. Cette loi a été modifiée, et on a donc pu poursuivre pour la deuxième fois un homme accusé d'un double meurtre. Ça m'a donné une autre idée pour le nouveau livre. Rebus, confronté à d'anciens camarades impliqués dans une affaire criminelle, allait-il se mettre du côté de ses collègues ou bien allait-il rester du côté de la vérité, de la morale? En général, quand je commence un livre, l'idée vient d'une rencontre avec une histoire. Le livre que j'écris en ce moment part d'une histoire qu'on m'a racontée : celle d'un type qu'on prenait pour un dealer, et qui meurt de mort naturelle. Selon la rumeur, il dealait dans la forêt en lisière de la ville. Du coup, quand il est mort, tout le monde s'est précipité dans la forêt, au cas où on trouverait des choses intéressantes. Voilà comment ça démarre. Tout vient de la vraie vie.

Par moments, Saints of the Shadow Bible fait penser à la série Life on Mars...
Oui, d'ailleurs la série est citée dans le livre.

Et cette année sabbatique, a-t-elle été utile ?
Oui, absolument. Plusieurs amis de mon âge sont morts prématurément, ça m'a beaucoup touché. Ma femme m'a suggéré de ne pas signer de nouveau contrat cette fois, pour me libérer de toute cette pression. Je pensais en profiter pour voyager, mais finalement, en-dehors de quelques vacances, je suis resté en Ecosse à me reposer, boire de la bière et faire des mots croisés. C'est en juin-juillet 2014 que ça a commencé à me démanger. J'ai écrit quelques petites choses, juste pour le plaisir, comme je le faisais quand j'étais étudiant. Je suis littéralement retombé amoureux de l'écriture : le 10 juillet, je commençais mon nouveau livre et je me suis aperçu que ça coulait tout seul. Donc oui, cette année a été très bénéfique.

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