5 juillet 2015

Liam McIlvanney, Là où vont les morts : le roman noir de Glasgow

Dans la famille McIlvanney, voici donc le fils, Liam. Dans Là ou vont les morts, nous retrouvons Gerry Conway, le personnage principal de son roman précédent, Les couleurs de la ville. A l'époque, il dirigeait le service politique du Sunday Tribune de Glasgow. Dans Là où vont les morts, on comprend vite qu'il a lâché les rênes pour d'autres aventures, et s'en est revenu au bercail pour trouver à sa place de star du Tribune le journaliste Martin Moir, qu'il a quasiment porté sur les fonds baptismaux du journalisme quelques années auparavant. Martin Moir est presque un archétype de journaliste de roman noir : alcoolique, spécialiste des affaires troubles et du milieu glaswégien, Moir s'est fait une spécialité de disparaître plusieurs jours de suite...
Le roman se déroule à la veille du référendum sur l'indépendance et des Jeux du Commonwealth: c'est dire que l'ambiance n'est pas à la sérénité en Écosse, où les hommes les plus en vue sont tiraillés entre engagement politique et marchés publics juteux... Donc Moir a disparu. Et pourtant, on a bien besoin de lui au Tribune. William Swan, lieutenant de Hamish Neil, un des deux parrains de Glasgow, également footballeur populaire, vient d'être abattu. Gerry Conway est responsable du service politique : pourquoi l'envoyer traiter ce fait divers ? Parce que Moir est introuvable, bien sûr. Et aussi parce que quand il est question de Neil, il est aussi, forcément, question de politique. Gerry renâcle, mais s'exécute.

Donc Moir a disparu. Problème : la disparition est définitive cette fois. On retrouve son corps, les mains ligotées au volant de sa voiture fracassée au fond d'une carrière inondée. Suicide ? Le texto envoyé par Moir à Conway juste avant sa mort semble le prouver. Quoique... pas si sûr. Voilà donc Conway embarqué dans une enquête au centre de la vie politique et économique de Glasgow, confronté aux deux camps de la pègre locale, mis en danger, en proie au doute : qui était vraiment Martin Moir? Un journaliste tête brûlée ou un vendu ? Au cœur du roman : la corruption bien sûr, la collusion entre pouvoir politique, pouvoir économique et pression mafieuse, mais aussi le devenir de la presse écrite. Liam McIlvanney connaît visiblement bien son sujet, et se montre extrêmement précis et crédible sur le sort peu enviable des journaux et des journalistes à l'heure des regroupements et de l'internet roi.

McIlvanney fait preuve d'un talent peu commun : il sait équilibrer une intrigue criminelle bien construite, riche en rebondissements et en remises en question, avec une peinture sans concession mais pleine d'amour de sa ville et de son pays d'origine. Il sait aussi faire une place de choix à la vie personnelle de son héros, père de deux garçons d'un premier mariage et d'un petit Angus né de son union avec Mari la Néo-zélandaise. Vie professionnelle et vie personnelle se nourrissent l'une de l'autre, influent l'une sur l'autre pour le meilleur et pour le pire. Si on ajoute que Liam McIlvanney écrit dans un style lyrique particulièrement prenant, surtout lorsqu'il s'attache à décrire la ville et des métamorphoses, dans une langue précise et moderne, alors bien sûr, la conclusion s'impose : Là où vont les morts est une lecture fortement conseillée.

Liam McIlvanney, Là où vont les morts, traduit de l'anglais (Ecosse) par David Fauquemberg, éditions Métailié
 

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