Le
dernier Charlie Resnick... On a du mal à y croire, surtout après
avoir refermé Ténèbres, Ténèbres. L'enquêteur de John Harvey
est seul, à nouveau. Lynn, sa collègue et compagne, a trouvé la
mort, abattue à la fin de sa dernière enquête. Charlie Resnick est
donc seul avec son vieux chat. Le seul qui lui reste. Charlie Resnick
est vieux, las, terriblement triste. Pas vraiment à la retraite
puisqu'il a accepté un poste d'enquêteur civil à temps partiel :
il intervient sur certaines affaires pour assurer des
interrogatoires, des vérifications. Charlie Resnick écoute du jazz,
toujours. Mange des sandwiches, toujours. Et cède aux instances de
la jeune et brillante Catherine Njoroge, remarquable inspectrice
d’origine kenyane qui vient d’arriver à Nottingham.
On vient de retrouver dans les fondations d’une maison le corps d’une femme décédée trente ans auparavant, en 1984, pendant les grèves de mineurs violemment réprimées par la police anglaise. A l’époque, Resnick était un jeune flic. C’est donc tout naturellement vers lui que va se tourner Catherine Njoroge quand il va s’agir de constituer une équipe d’enquêteurs. Il ne faudra pas bien longtemps pour établir l’identité de la victime : il s’agit de Jenny Hardwick, volatilisée en 1984.
Symboliquement,
le roman s’ouvre sur une scène d’enterrement : Charlie Resnick
assiste aux obsèques d’un ancien leader syndicaliste de l’époque,
Peter Waites. Un des plus durs sur les piquets de grève, un des
plus virulents, qui malgré cela deviendra l’ami de Resnick.
Charlie se sent vieux, un peu comme le John Rebus de Ian Rankin qui
lui aussi assiste à des obsèques au tout début du roman qui marque
son grand retour. Hasard ? Resnick, comme Rebus, est un
solitaire. Comme Rebus il aime la musique : chez lui, c'est le
jazz ; chez Rebus, c'est le rock mais l'amour est le même, et
la tristesse aussi. Dans l'entourage de Charlie Resnick, la mort est
devenue une vieille habituée. Et le surgissement de cette histoire
du passé est sans doute la seule chose qui va réussir à le sortir
d'une dépression rampante... Même si c'est aussi l'occasion pour
lui de replonger dans un passé douloureux, un passé dont il n'est
pas fier. Car le rôle de la police dans les grandes grèves des
années 80 n'a rien de glorieux. Et la disparition inexpliquée de
Jenny n'a pas été oubliée par les protagonistes de l'époque.
Jenny n'était pas n'importe qui : femme d'un mineur non
gréviste, elle a eu l'audace de se ranger du côté des grévistes,
et même de jouer un rôle important dans le mouvement. Jenny, mère
de trois enfants, est belle, intelligente, charismatique. C'est elle
que Peter Waites choisira pour porter la bonne parole dans les
meetings et les conférences. Au grand dam de son mari, mineur
taciturne et bosseur, condamné à garder les petits pendant que
Madame parade. En 1984, les femmes n'ont pas fini de s'émanciper...
Auront-elles fini un jour d'ailleurs ? Toujours est-il qu'un soir, au lieu
de rentrer chez elle en retard, Jenny disparaît.
Trente
ans plus tard, l'enquête promet d'être difficile. Beaucoup de
témoins ne sont plus là, d'autres ont la mémoire qui flanche. Avec
Catherine, Resnick suit des pistes, s'égare, trouve ce qu'il ne
cherche pas. Et au bout du compte, tout autant que le coupable, c'est
la victime qu'ils cherchent tous les deux. Qui était vraiment
Jenny ? Epouse et mère de famille, bonne copine, militante,
femme infidèle, femme révoltée ? Tournant en cercles
concentriques, les enquêteurs s'approchent, lentement mais sûrement,
du cœur du problème plutôt que d'une vérité absolue.
Pour
son dernier roman, John Harvey multiplie les points de vue, affirme
sa position politique, décrit les événements de 1984, qui ont déjà
beaucoup servi aux écrivains anglais, sous l'angle de la police, et
c'est encore plus terrible. Et à travers le sort de Jenny, mais
aussi celui de Catherine, en butte au racisme, au sexisme et à la
violence de l'homme qui dit l'aimer, il rend un hommage appuyé aux
femmes et à leurs combats sans fin. Ténèbres, ténèbres porte
bien son titre : John Harvey s'offre le luxe d'un véritable
roman noir, bouleversant, pessimiste. La relative lenteur de
l'action, servie par un style à la fois précis, imagé, poétique,
laisse à l'auteur le temps de déposer, enfin, les armes avec
une élégance incroyable : avec Ténèbres, ténèbres, John Harvey
signe un texte magnifique, qu'on lit le cœur serré, et qui nous
fait regretter, amèrement, qu'il soit le dernier. Merci, Mr. Harvey.
John
Harvey, Ténèbres, ténèbres, Rivages / Thrillers, traduit de
l'anglais par Karine Lalechère.
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