Dystopie : société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné (Larousse). Larousse le confirme : Micron noir est une dystopie. Genre particulièrement apprécié par les amateurs de SF, ici choisi par Michel Douard pour un deuxième roman hautement recommandable. Puisqu'on en est aux définitions, passons à "Micron noir". Cette chose est une substance diabolique, cocaïne puissance 10, addictive au dernier degré, particulièrement appréciée par les athlètes en cette année 2048. Pas si loin de nous, finalement... En 2015, les sportifs stars sont des footballeurs ou des tennismen. En 2048, ce sont des guerriers. En 2048, les guerres entre les États sont devenues des spectacles à portée mondiale, la Guerre nouvelle; de monstrueux combats où les populations se comportent comme des fans de football, parqués dans des tribunes sécurisées ou massés devant des écrans de rue pour les moins fortunés, où l'on prend les paris, où les meilleurs guerriers grassement rémunérés font l'objet d'un classement mondial où la première place est très disputée. Dès la première scène, l'analogie avec le foot est assumée : les guerriers quittent leur vestiaire pour rejoindre le champ de bataille.
Pour l'heure, le champion, c'est Gros Luc, le meilleur ami du narrateur, lui-même valeureux combattant. Gros Luc est accro au dernier degré au Micron noir et à tout ce qui peut ressembler à de la dope. Accro au jeu aussi, tant qu'on y est : pour toutes ces raisons, il n'est pas le champion "officiel". Mais il est celui des peuples, et surtout celui des sponsors et des annonceurs qui font la pluie et le beau temps dans ce joli monde. En marge des autorités, un groupe de rebelles, la Famille. A sa tête, Erik Kessel, 21 ans, de longs cheveux blancs et un visage d'ange, parricide, qui gouverne son petit monde avec une brutalité sans pitié au nom d'un idéal pas très explicite. Pas beaucoup de cœur, chez cet ange-là... Le narrateur, combattant méritant, vit chez son père qui nourrit un mépris considérable envers cette façon de vivre, ce comportement de mercenaire. Et il passe le plus clair de son temps à sortir Gros Luc des embrouilles dans lesquelles il se fourre immanquablement. Mais cette fois, l'embrouille est de taille : à la clé, une quantité industrielle de Micron noir, agrémentée d'un million en cash. Butin raflé au nez et à la barbe de Nathan Elmar, gradé mystique, fou comme un lapin et grandement rancunier. Nathan n'a pas plutôt enterré son mari, tué dans un "accident de drone", qu'il se lance à la poursuite de Gros Luc, bien décidé à récupérer son bien. Il n'y a plus qu'à fuir...
C'est ce que font le narrateur, Gros Luc dans un état lamentable, arraché à sa chambre d'hôpital, le père du narrateur et le joker, Victoire, membre de la Famille, pilote de drone et responsable de l'accident qui a coûté la vie au mari de Nathan. Fuir, mais où ? Vers le sud, chez le grand-père du narrateur, qui vit dans un village de résistants qui s'efforcent de survivre en opposition au monde moderne : ultra-capitalisme, régime militaire, population aliénée... C'est le début d'une cavale éperdue, d'une fuite vers le passé, vers la mer inaccessible. Une cavale ponctuée d'épisodes violents, balisée de personnages aussi effrayants que fascinants, une course déviée par des événements marginaux qui sont autant de rebondissements spectaculaires mettant le lecteur au défi de pronostiquer la fin. Un des talents de Michel Douard réside dans le fait qu'il réussit, sans nous attacher à un héros en particulier - le narrateur est au centre, bien sûr, mais il sert de regard au lecteur, et n'est jamais perçu comme le "héros" au sens traditionnel du terme - à nous entraîner dans une sorte de fuite initiatique, nous laissant littéralement hors d'haleine. On reprend son souffle et ses esprits, et on s'aperçoit qu'on s'est laissé entraîner, finalement, mine de rien, dans un roman éminemment politique. Joli !
Michel Douard, Micron noir, La manufacture de livres
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire