23 mai 2016

Leye Adenle : l'interview au Goéland masqué 2016

De gauche à droite : Lise Belperron, Leye Adenlé, votre humble servante et Roger Hélias
J'ai fait la connaissance de Leye Adenle avec son premier roman, Lagos Lady, paru chez Métailié (voir la chronique ici), qui m'avait donné d'en savoir plus sur son auteur, ses projets, sa vision de l'écriture. Rencontré aux Quais du polar, Leye Adenle m'avait donné rendez-vous au festival du Goéland masqué, où j'ai donc eu le bonheur de l'interviewer en compagnie de Roger Hélias et de l'éditrice Lise Belperron (Métailié), qui a eu la gentillesse d'assurer l'interprétariat en direct.
Roger Hélias : Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui Leye Adenlé qui nous fait le plaisir de nous rendre visite dans le cadre de son périple des festivals français, après les Quais du polar de Lyon, avant Toulouse et bien d'autres salons et festivals.
Velda : Mon premier contact avec Leye Adenle s'est fait à travers la lecture de Lagos Lady, son premier roman publié chez Métailié et qui a été pour moi une vraie belle découverte. Avant ce roman, il avait écrit des novellas et des nouvelles. Leye, depuis combien de temps vivez-vous à Londres, pouvez-vous nous raconter vos débuts en écriture ?
Leye Adenle : Beaucoup trop longtemps, 18 ans déjà...
V : Si je comprends bien, vous avez envie de retourner au Nigeria ?
LA : Oui, tout à fait. Si vous tous qui êtes présents ici achetez mon livre, je pourrai peut-être y songer !


RH : Existe-t-il au Nigeria une forte tradition du polar ?
LA : Je suis le tout premier auteur de polar au Nigeria (rire). Non je plaisante bien sûr. Les auteurs nigériens sont connus surtout pour leurs œuvres de littérature générale. Mais il y a bien sûr une tradition africaine de la littérature noire et policière, ainsi que de la littérature fantastique. J'ai beaucoup de prédécesseurs, auxquels je dois beaucoup, et je viens d'une longue tradition.
RH : Quand on dresse un panorama du polar africain, on s'aperçoit qu'il existe au moins une thématique qui revient sans cesse, et c'est celle de la corruption.
LA : La corruption affecte toutes les facettes de la vie en Afrique. Il est pratiquement imposible d'écrire une fiction située en Afrique, et plus particulièrement au Nigeria, sans en tenir compte. Ce serait complètement incongru, car la corruption affecte la vie quotidienne. Si, dans un pays comme le Nigeria, nous n'avons pas l'électricité 24h/24, c'est à cause de la corruption. Si les routes y sont dans un état lamentable, c'est à cause de la corruption. S'il y a tant de pauvreté, c'est à cause de la corruption.
V : Le roman commence par un prologue très dur qui raconte une tranche de vie d'une étudiante qui, pour survivre, est obligée d'avoir recours à des moyens peu orthodoxes. Puis on enchaîne avec un premier chapitre où on fait la connaissance d'un Anglais plutôt maladroit qui débarque à Lagos sous le prétexte d'une vague enquête journalistique. Mais on comprend très vite que c'est Amaka, cette très belle femme courageuse, qui va être la véritable héroïne du livre. Pouvez-vous nous parler d'elle, de ce qui vous a inspiré ce personnage, de son sort dans le livre et de ce que cela dit sur la vie des femmes au Nigéria.
LA : Amaka, l'héroïne, m'a été inspirée par beaucoup de femmes que je connais. Même son nom vient d'une personne que je connais. Dans le livre, Amaka dirige une association caritative qui vient en aide aux travailleuses du sexe. Au Nigéria, la prostitution est illégale, donc les prostituées sont exposées aux pires violences et aux abus les plus scandaleux. Officiellement, elle apporte son aide à ces personnes en termes de santé et d'éducation, entre autres. Mais clandestinement, elle exerce aussi une autre fonction, dont j'aimerais qu'elle existe dans la réalité, et qui consiste à assurer une forme de sécurité aux prostituées en se renseignant sur les clients. Comme partout dans le monde, il existe au Nigéria une inégalité énorme entre hommes et femmes, qui contribue fortement à la violence envers les femmes. Le sort des femmes nigériennes est celui de toutes les femmes du monde : tant qu'il y aura dans le monde des pays où les femmes n'ont pas le droit de conduire, c'est que l'inégalité est présente, encore, partout.  Je ne voudrais pas faire de différence entre le sort des femmes au Nigéria et celui des autres femmes : tant qu'il existe un état, un pays où les femmes ne sont pas libres, cela signifie que les femmes ne sont libres nulle part. Amaka ne supporte pas cette inégalité, et c'est cela qui la fait agir.
V :  Mais le contexte de corruption, mais aussi de superstition, de religion et de tradition rend peut-être les choses encore plus difficiles, non ?
LA :  L'autre sujet majeur du roman, c'est la magie, bien sûr. Mais je ne suis pas certain que cela ait une forte incidence sur la violence faite aux femmes. Ce dont je suis sûr, c'est que cette violence existe au quotidien. Il y a quelques semaines de cela, il y a encore eu un cas de femme tuée par son mari, battue à mort...
RH : Je voudrais vous parler de votre écriture, votre style. J'ai l'impression qu'elle est très influencée par le cinéma contemporain, avec beaucoup d'images qui se succèdent, un rythme très rapide.
LA : Je déduis de votre description que vous avez aimé le livre... Avant de vous parler de mes influences, je voudrais vous faire un aveu. Comme vous le savez, je ne parle pas - encore - français, je n'ai donc pas pu lire mon livre dans votre langue. Mais d'après ce que je vois, il semble qu'il plaise bien ici. Ce qui me fait soupçonner qu'ils ont traduit le mauvais livre. Je n'en dirai pas plus... D'où ma réticence à parler de mes influences, car du coup vous allez vous rendre compte qu'on ne parle pas du même livre. Je vais essayer, tout de même. Savez-vous comment je choisis mes lectures ? Sur le chemin de mon travail, à la station Liverpool Street, il y a une grande librairie WH Smith. Souvent, je m'y arrête. Là, je prends un livre dont j'aime la couverture. Exactement ce qu'il ne faut pas faire, si j'ai bien compris... Je l'ouvre, je lis la première ligne. Si ça m'intéresse suffisamment, je lis la deuxième. Puis le premier paragraphe, et si j'arrive au bout de la première page, j'achète le livre. J'ai voulu écrire un livre qui ressemble à ceux que j'aime lire.
RH : Avez-vous déjà prévu la suite ?
LA : C'est compliqué... Deux livres sont prêts, et j'ai écrit le troisième volume de la trilogie qui vient de commencer. Là, je commence le deuxième, au grand dam de mon éditrice. Ce soir, je vais partager avec elle le début de ce deuxième roman. Si vous venez boire un verre avec nous, vous en profiterez aussi.
RH : J'en conclus que Métailié va vous suivre dans votre aventure ! Votre livre est-il sorti au Nigeria ?
LA : Oui, tout à fait. Lagos Lady vient tout juste de sortir au Nigéria, donc je n'ai pas encore de réaction, en-dehors des réseaux sociaux où les retours sont plutôt encourageants. Mais je ne sais pas encore ce que vont en penser les critiques. Suspense...

3 commentaires:

  1. Merci pour ce bel entretien. J'ai aussi aimé la découverte de Lagos Lady. Métailié étant pour moi un gage d'une lecture de qualité. J'avais aussi beaucoup apprécié cette héroïne forte et touchante à la fois. Et puis le polar africain, hors mis l'Afrique du Sud, ce n'est pas si courant !

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  2. Et merci à toi pour la fidélité et la gentillesse.

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  3. La rencontre en vidéo ici : http://goelandmasque.fr/festival-2016-le-nigeria-nouveau-territoire-du-polar-avec-leye-adenle/

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