10 septembre 2016

James Ellroy au festival America (Vincennes) : "je suis un moraliste et je déteste la crasse".

Jeudi 8 septembre, dans le cadre du festival America de Vincennes (voir le programme ici), James Ellroy répond aux questions de Michel Abescat. Conformément à son habitude, il ne mâche pas ses mots et n'oublie jamais son sens de la formule. Morceaux choisis.



Los Angeles
Je suis originaire de Los Angeles, c'est pourquoi je n'ai jamais eu d'attitude critique ou extérieure envers cette ville. Je l'ai dans le sang.... J'y situe mes histoires terribles, voilà ce que je fais. Plus que de vivre à LA dans la réalité, j'y ai vécu avec mon imagination. J'y ai lu des tonnes de livres, j'y ai commis des délits, ma mère y a été assassinée, j'ai lu encore et encore. C'est un processus d'immersion, d'imprégnation.

Les histoires d'amour
Mes livres sont des histoires d'amour historiques, des histoires d'hommes mauvais qui tombent amoureux de femmes puissantes. Toute histoire part de là : un homme rencontre une femme. C'est le cœur même de l'art, cette relation à l'histoire d'amour est aussi importante que le crime ou l'aspect historique. La puissance de mon imagination, juxtaposée à mon sens moral, à ma position anti-totalitaire, anti-nazie, anti-socialiste, anti-communiste, anti-soviétique : tout cela côtoie des intrigues criminelles fortes et de grandes histoires d'amour.

Le passé ou la nostalgie ?
Le premier livre du nouveau Quartet démarre avant ma naissance. Ce que je veux faire, c'est circonscrire la période qui a précédé ma naissance, jusqu'à ce qu'elle entre en contact avec mes vrais souvenirs. Au fur et à mesure que je progresse dans la chronologie, je passe de Los Angeles aux Etats-Unis tout entiers, en prenant pour point de départ mes années d'adolescence. L'ère Kennedy avec American Tabloïd, American Death Trip et les années 60, et enfin le début du scandale Watergate avec la période qui va jusqu'en 1972 dans Underworld USA.


Je fais confiance à mon imagination. Si un certain contexte historique me vient à l'esprit qui colle avec mon histoire, c'est qu'il est bon pour mon histoire. Si je développe des personnages qui correspondent à des personnages réels, je les coopte. Aujourd'hui, j'en suis à écrire le deuxième volume du "prequel" du Quartet, la suite de Perfidia. Mes héros sont plus jeunes donc, et je consolide, j'approfondis, je densifie, je synthétise, je révise ces personnages pour que ce récit constitue 31 ans de l'histoire de Los Angeles.

La place des femmes
Dans mes deux derniers romans, il est beaucoup question d'amitiés et d'alliances. Plus important encore, les femmes passent au premier plan de mes intrigues, alors qu'autrefois elles étaient là principalement comme objets de désir obsessionnel de mes héros masculins. J'ai également une maîtrise stylistique plus forte. Du style "boom boom" pour lequel je suis reconnu à juste titre, je suis passé à quelque chose de beaucoup plus  élaboré, le terrain émotionnel est beaucoup plus riche, et la figure masculine a ellle aussi beaucoup changé. Le personnage féminin; Kay Lake, devient la force héroïque des quatre romans du nouveau Quartet, elle s'exprime à la première personne sous la forme d'un journal. L'histoire centrale n'est ni criminelle, ni politique: c'est une histoire d'amour... 

Michel Abescat (Télérama), le traducteur-interprète Michel Zlotovski et James Ellroy (festival America 2016)


Los Angeles, l'enfance, le père
Le LA que je me rappelle de mon enfance était un lieu égalitaire, très libre, symbolisé par mon père qui, lorsque j'avais neuf ans, m'a dit qu'il avait baisé Rita Hayworth. Si on parlait de mon père un instant? On a beaucoup parlé de ma mère, d'abord parce qu'elle était une femme, et surtout parce qu'elle a été assassinée. Un bonhomme incroyable, un charlot qui avait un engin de 27 cm... (rires dans la salle). Attendez, c'est très sérieux. J'avais une relation très libre avec mon père : il m'a raconté ça, avec son accent bostonien, à la Kennedy : "j'ai baisé Rita Hayworth". Je ne l'ai pas cru, bien sûr. Il m'a raconté qu'il était l'homme d'affaires de Rita Hayworth à l'époque où elle a épousé Ali Khan, ici, à Paris, en 1949. Dix ans après la mort de mon père, j'ai découvert que tout était vrai... Enfin, possible. Il aurait arrangé le mariage de Rita Hayworth avec Ali Khan, ici, à Paris, la ville lumière ! Ah, les vedettes de cinéma... Mon père vivait dans un taudis, mais les stars de cinéma se tapaient des gens comme lui.  Ce qui caractérisait Los Angeles à l'époque, c'était ce côté égalitaire, libre, ce mélange de  toutes sortes de gens qui se côtoyaient dans une ville entièrement fabriquée autour du cinéma ! Un lieu construit pour perpétuer l'imagination et les fantasmes, c'est là que j'ai grandi...

La langue de la rue, celle des  malfrats, des macs, des prostituées, et celle des séries télé
Je pense que la langue que j'utilise est plus élégante que cela. Il y a aujourd'hui un style d'écriture que je déteste : celui du cinéma et de la télé. Celui de ce que je considère comme la branlette la plus formidable de l'époque : la série The Wire. Là-dedans, on glorifie les gangsters, les trafiquants, tout ça avec des auteurs mâles, des branleurs qui voudraient en être, eux aussi, de ces dealers du ghetto. Tout ce qu'on y voit, c'est une bande de mecs qui racontent des conneries, il n'y a aucun approfondissement des personnages, et les acteurs adorent ça, ils feraient n'importe quoi pour tourner là-dedans. Je déteste ça, vraiment. Moi, je suis un bâtisseur de romans : chaque ligne de dialogue doit servir à faire avancer l'intrigue, à approfondir les personnages. Il faut que ça sorte de la bouche de mes personnages avec intelligence, et même quelque élégance, voire une intensité dramatique, même si c'est une horreur.

"I am a moralist and I hate squalor" : je suis un moraliste et je hais la crasse.

 Je crois fermement que le crime est un fait individuel, chaque individu qui commet un crime en est coupable, je ne crois pas à la culpabilité universelle, mais à la responsabilité individuelle. Chacun de nous possède une âme, nous avons une responsabilité, une voix individuelles, un destin collectif qui change sans cesse, et ce destin-là, c'est l'Amérique.

Le dernier roman de James Ellroy, Perfidia, traduit par Jean-Paul Gratias, ainsi que toute l’œuvre de James Ellroy sont disponibles aux éditions Rivages.

1 commentaire:

  1. Mes préférés sont Le Grand Nulle Part et LA Confidential. L'adaptation cinématographique de Curtis Hanson était d'ailleurs remarquable !

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