Il y a quelques années déjà, on découvrait avec Retour à la nuit - qui vient d'ailleurs de sortir en poche (voir la chronique ici) - un auteur peu prolixe, un style qui n'appartient qu'à lui, un roman troublant, sans concessions. Revoilà donc Eric Maneval, bouquiniste, guitariste et veilleur de nuit, nous dit la quatrième de couverture. Mais surtout insaisissable et surprenant. Avec Inflammation, il nous offre un récit au style plus abordable, plus généreux en dialogues et en descriptions, et par là même encore plus perturbant, car son roman, s'il se lit aisément, nous prend en traître : il nous amène à regarder de plus près nos propres vies, nos relations amoureuses et familiales, la surface et la profondeur, la vérité et l'illusion. Et ce qu'il nous suggère n'a rien d'apaisant.
Quand le roman commence, le personnage principal, Jean Mourrat, 45 ans, est en compagnie de son ami Bernard. Ensemble, ils regardent la vidéo du mariage de Jean et de Liz. Ensemble, ils attendent Liz. Car Liz a disparu quelques heures auparavant, en plein orage. Elle s'est enfuie sans autre explication, comme une folle, au volant d'une Méhari. L'orage a été violent, le téléphone est coupé, le sol est détrempé, il pleut encore doucement, les enfants dorment. Sophie, la femme de Bernard, s'occupe d'eux. Quatre jours plus tard, la nouvelle tombe comme un nouveau coup de tonnerre : on vient de retrouver la voiture que conduisait Liz fracassée au pied d'un pont romain, dans l'eau boueuse. Deux jours après, c'est le sac de Liz que l'on découvre accroché à une branche. Mais le corps de Liz reste introuvable. Jean est effondré, il n'arrive plus à travailler, à s'occuper des maisons qu'il a retapées dans le village, et qu'il loue à des gens qu'il connaît à peine, des personnes en détresse recrutées par celui qu'on appelle le Révérend, fondateur d'une association d'insertion. Quant aux deux enfants du couple - Lucie, la fille de Liz arrivée avec elle au village, puis Clément, né peu après le mariage, ils sont pris en charge par Sophie, car Jean, incapable de s'occuper de lui-même, est totalement incapable de s'occuper des deux petits... Qui se révèlent par moments plus adultes que lui. L'absence de Liz, celle de son corps surtout, l'incompréhension, le manque : Jean Mourrat a beau être entouré, aidé, soutenu par ses amis, il perd pied... Que faire pour s'en sortir ? Chercher, enquêter, questionner, essayer de comprendre. C'est ce qu'il va faire, et il est loin de s'attendre à ce qu'il va découvrir.
A partir de là, Eric Maneval prend un pari. Celui d'entraîner son lecteur à sa suite dans une histoire folle, terrifiante même. On sent bien que l'homme a derrière lui une certaine expérience de la littérature populaire, un goût prononcé pour l'horreur et l'épouvante car l'histoire qu'il nous raconte défie l'entendement : il n'hésite pas à nous faire pénétrer dans un univers de sectes, à imaginer une conspiration internationale sur fond d'industrie pharmaceutique sans scrupule, à concocter une atmosphère gothique qui fait parfois penser aux romans de Jean Ray. Ce que va découvrir Jean Mourrat est tout bonnement épouvantable... Et surtout, nous allons assister à l'effondrement complet d'une vie de famille apparemment idéale, d'une vie amoureuse dont l'éclatement procède d'une véritable catastrophe illusionniste, d'une vie sociale placée sous le signe du mensonge à grande échelle. Deux hypothèses : soit vous vous laissez prendre par le savoir-faire de l'auteur et vous courez avec lui vers l'apocalypse finale ; soit votre rationalité est plus forte que votre désir, et vous résistez, quitte à passer à côté de ce qu'Eric Maneval nous dit sur l'humain et ses sentiments, sur les rêves qu'on prend pour des réalités, sur les illusions qui nous aveuglent. Ce serait vraiment dommage.
Eric Maneval, Inflammation, La Manufacture de Livres, collection Territori
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