16 juillet 2017

Lilja Sigurdardottir, "Piégée" : Islande, entre trafic et banqueroute

Hiver 2010, Reykjavik. En plein krach boursier, juste après les caprices du volcan Eyjafjöll qui ont recouvert de cendres toute l'Islande et provoqué des perturbations dans le trafic aérien européen. Sonja rentre d'un voyage à Copenhague. Juste avant de s'envoler pour son retour à Reykjavik, elle a opéré un tour de passe sur la valise d'une jeune et jolie femme qui ne lui a rien demandé, mais qui va se retrouver avec, dans sa Samsonite, le petit paquet de drogue que Sonja doit rapatrier chez elle. A l'arrivée, nouveau tour de passe-passe : Sonja récupère la valise en faisant croire à la voyageuse qu'elles ont confondu leurs bagages. Voilà, Sonja a réussi, une fois de plus.
 
A Reykjavik, Agla, l'amante honteuse de Sonja, se débat dans les griffes de ceux qui sont en train de passer au peigne fin les opérations financières de la banque où elle occupe un poste important. Et ça va mal... Pour Agla, l'avenir est plus qu'incertain, et sa relation avec Sonja, déjà bien chaotique, tourne au vinaigre.
 

Le jeune Tomas, fils de Sonja, s'apprête à quitter le domicile de son père Adam pour retrouver sa mère. Et c'est un bonheur, car entre ces deux-là, c'est l'amour fou...  Tomas est loin de se douter que c'est pour lui que Sonja a dû se lancer dans le trafic de drogue. Piégée... Elle s'est séparée d'Adam quand celui-ci l'a prise en flagrant délit d'infidélité avec Agla. Depuis, il la tient... Si elle veut pouvoir continuer à voir Tomas, lui offrir des conditions de vie décentes lorsqu'il vient la voir, elle n'a plus le choix. Deux fois par mois, elle doit faire le voyage entre une capitale européenne et sa ville, et remettre son butin aux mains d'une horrible brute, Rikhardur, homme de main de Thorgeir, avocat de son état, qui arrondit grassement ses fins de mois grâce à Sonja et ses semblables...
 
Et puis il y a Bragi, agent des douanes proche de l'âge de la retraite, et qui ne sait pas trop comment il pouvoir continuer à subvenir aux besoins de sa femme Valdis, atteinte d'Alzheimer, qui vit dans une maison de soins coûteuse. Bragi, qui ouvre l’œil à l'aéroport de Reykjavik.

Voilà, les personnages et le décor sont plantés. Il ne reste plus qu'à les animer, et c'est ce que va faire Lilja Sigurdardottir, avec talent et efficacité. La situation est explosive. Et immanquablement, elle explose. Les cendres qui recouvrent Reykjavik ne suffiront pas à dissimuler la tourmente qui va agiter la vie de Sonja et d'Agla. Ces deux femmes, à la fois proches et différentes, vont devoir affronter, chacune à sa manière, un monde en pleine transformation, un système en voie de décomposition, et se débrouiller dans cet univers implacable, où toutes les valeurs sont remises en cause, où les repères sont fuyants. Lilja Sigurdardottir fait converger ses deux personnages féminins, chacune d'entre elles hors-la-loi, vers un constat terrible : exactions financières, trafics de stupéfiants, finissent par unir leurs forces pour soutenir, avec un cynisme confondant, un système totalement corrompu qui doit son existence à un pouvoir politique impuissant et aveugle. 

Ses deux personnages incarnent avec force une humanité aux prises avec une situation mondiale de plus en plus complexe et incontrôlable, une humanité qui, emportée par le flux, perd toute lucidité et ne peut plus qu'essayer de sauver les meubles... L'auteure sait parsemer son chemin de retournements de situation, d'accélérations inquiétantes et de grands moments de suspense : du coup, sachant que ce roman est le premier d'une trilogie baptisée "Reykjavik noir", on a hâte de lire la suite.

Lilja Sigurdardottir
, Piégée, traduit de l'islandais par Jean-Christophe Salaün, Métailié noir

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