C'est à travers ses nouvelles que j'ai fait la connaissance de Jérôme Leroy, il y a... quelques années. Le recueil s'appelait Une si douce apocalypse (voir la chronique ici, si vous êtes curieux) et c'est lui qui a déclenché un attachement qui ne s'est jamais démenti, avec les romans de la Série noire (Le Bloc et L'Ange gardien), ceux parus à la Table Ronde (Jugan, Un peu tard dans la saison) et bon nombre d'incursions dans la bibliographie antérieure de l'auteur. C'est donc avec beaucoup de plaisir que j'ai ouvert cette novella. L'homme surgit là où on ne l'attend pas toujours - en littérature jeunesse, en "ressuscitateur" de Léo Malet, en redécouvreur de talents oubliés.
Fidèle à lui-même mais jamais là où l'attend, voilà qui le définit parfaitement. Fidèle à lui-même, Jérôme Leroy l'est plus que jamais avec La Petite Gauloise : récit tout juste dystopique, lieu à peine imaginaire... La ville - un port de l'ouest en état de désastre économique - dont il est question est dirigée par une équipe du Bloc patriotique. Vous frémissez ? Vous avez raison, car La Petite Gauloise commence sur les chapeaux de roue par une magnifique bavure : l'élimination par le brigadier Richard Garcia, de la police municipale, du capitaine Mokrane Méguelati, de l'antenne régionale de la DGSI. Une balle de calibre 12 en pleine tête, ça ne pardonne pas. Il faut dire que l'heure est à l'inquiétude, voire à la paranoïa, dans la ville portuaire de l'ouest. Terrorisme, islamisme, taux de chômage galopant, dealers dans les halls d'immeubles : tous les ingrédients sont là pour créer une atmosphère pour le moins délétère, tout est réuni pour favoriser l'arrivée à la mairie du Bloc patriotique.
Mais alors, cette Petite Gauloise du titre, qui est-elle ? Elle est très jeune, elle est très blonde, et le Combattant l'a dans la peau. Le Combattant du Djihad, terré là, dans la ville portuaire de l'ouest à l'économie en berne... Amoureux, comme un gamin, le Combattant a vécu toute sa jeunesse aux 800, la cité maudite de la ville portuaire. Il y a connu les émeutes de 2005, l'incendie du lycée où il "traînait dans un bac pro de mécanicien". L'imam l'a dit : il a le droit de l'utiliser, sa Petite Gauloise, même si c'est péché que de la désirer : "le Djihad (pouvait) utiliser le mal pour parvenir à ses fins." Et comme la Petite Gauloise le dit : "d'accord pour tout foutre en l'air, mais ne me fatigue pas avec tes salades (...) Toi c'est pour Allah, moi c'est parce que le monde est laid et qu'il ne m'intéresse pas." Dystopie, avez-vous dit ?En raconter davantage serait inconvenant... Jérôme Leroy fait ici la démonstration d'un savoir-faire hors pair de narrateur : humour cinglant, capacité rare à camper ses personnages tout en les gardant en mouvement, évitant ainsi les descriptions psychologiques fastidieuses et souvent fatales au rythme du texte... Complicité avec le lecteur, récit à la fois précis et rapide, La Petite Gauloise est un conte grinçant, où Jérôme Leroy use à l'envi de clins d’œil appuyés, à la fois tendres et vachards, aux milieux qu'il connaît bien, ceux de la littérature, de la politique et de l'enseignement. Un conte cruel, pessimiste et lucide, une vision sociale impitoyable d'une société où les cultures, à force de s'ignorer elles-mêmes et mutuellement, finissent par s'exterminer. La Petite Gauloise, avec sa fin à la fois terrifiante et burlesque, est un manifeste virtuose, une mise en garde sévère, et au final une ode pessimiste à la culture, à l'intelligence et à l'humour salvateur.
Jérôme Leroy, La Petite Gauloise, La Manufacture de livres
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