17 mars 2019

Eva Dolan, "Haine pour haine" : intrigue détonnante, portrait au vitriol de l'Angleterre contemporaine

On a découvert Eva Dolan fin 2017 avec Les chemins de la haine (voir chronique ici) qui a obtenu le Grand Prix des lectrices de Elle dans la catégorie roman policier. On se doutait bien qu'avec cette auteure-là, ce ne serait pas un feu de paille. Gagné : Haine pour haine tient toutes ses promesses, et bien au-delà.

Nous sommes toujours à Peterborough, cette ville du Cambridgeshire où la vie ne ressemble guère aux ambiances feutrées de Cambridge et de la campagne environnante. L'inspecteur Zigic et le sergent Ferreira sont toujours à leur poste, prêts à en découdre avec la délinquance qui croît de façon exponentielle dans leur ville, avec le racisme et la xénophobie qui se développent à un rythme alarmant, avec la pauvreté qui ne fait que s'aggraver dans les quartiers les plus défavorisés.

Cinq heures du matin, les deux sœurs Sofia et Jelena Krasic sont déjà réveillées, il est l'heure de partir travailler à Boxwood Farm. A l'arrêt de bus, Jelena ne peut pas résister à l'appel de son téléphone, Sofia s'agace, ce téléphone est une vraie calamité. Soudain, une Volvo blanche déboule dans la rue, fait une embardée et percute Jelena. Elle n'ira pas travailler ce jour-là, elle n'ira plus travailler, jamais. Sofia, elle, est blessée. Tous les témoignages concordent : l'accident n'en est pas un, le conducteur de la Volvo, qui a réussi à s'échapper, a renversé volontairement les deux jeunes filles et l'autre homme qui attendait, lui aussi, à l'arrêt de bus. Une enquête difficile s'annonce pour Zigic et Ferreira...

Dans leur collimateur, le dénommé Anthony Gilbert, ex-petit ami de Jelena, qu'accuse tout de suite Sofia, et qu'on retrouve chez lui, dans un état comateux : médocs + alcool, il n'y est pas allé de main morte, overdose. Il va falloir attendre pour l'interroger. L'inconnu de l'arrêt de bus, quant à lui, finit par décéder... Bientôt, les journalistes s'intéressent de près à l'affaire, et ne manquent pas de faire le lien avec deux crimes de nature raciste commis peu de temps auparavant. Exactement ce qu'auraient voulu éviter les autorités... Bientôt, la politique s'en mêle, et en particulier un personnage particulièrement antipathique nommé Richard Shotton, député populiste d'extrême-droite prêt à tout pour se protéger et faire décoller sa campagne électorale. Il y a du travail : l'homme n'est pas précisément irréprochable.

Eva Dolan tisse dans Haine pour haine une savante toile d'araignée, où intérêts publics et privés s'entremêlent, où l'intrigue permet, au détour d'un rebondissement, d'en comprendre davantage sur la vie politique anglaise contemporaine. Elle maîtrise parfaitement l'enchaînement inexorable du racisme, de la xénophobie et du populisme, avec une vision particulièrement aiguë des relations entre médias et vie politique. Affairisme, cynisme, corruption, exploitation des migrants sont au rendez-vous de la déliquescence sociale d'un pays qui ne sait plus où il va, mais aussi de l'état de nos sociétés occidentales. Quant au "twist" de fin, il satisfera tous les amateurs de suspense. Bien joué !

Eva Dolan, Haine pour haine, traduit de l'anglais par Lise Garond, éditions Liana Levi

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Articles récents

  • Benjamin Myers, "Le prêtre et le braconnier" : une parabole vénéneuse
  •  Benjamin Myers connaît auprès du public français un parcours aussi original que sa personnalité, parcours qui favorise peu la découverte de ses livres profondément originaux, salement noirs, ... Lire la suite
  • David Peace, Patient X - Le dossier Ryunosuke Akutagawa
  •  Avertissement au lecteur puriste : ce livre n'est pas un roman noir. Sauf à le considérer comme une enquête de David Peace sur l'auteur japonais, et à travers elle une mise à nu de l'auteur ... Lire la suite
  • Jurica Pavičić, "Mater Dolorosa" : L'amour (maternel) à mort
  • Après L'eau rouge et La femme du deuxième étage, voici le troisième roman traduit en français du Croate Jurica Pavičić, qui, en trois ans, a remporté de nombreux prix et réussi à conquérir un public ... Lire la suite
  • Keigo Higashino, "La Maison où je suis mort autrefois": obsessions, identité et mémoire incertaine
  • Ce roman n'est pas une nouveauté, mais autant l'avouer, je me suis prise d'affection pour Keigo Higashino, et certains de ses romans se glisseront subrepticement au fil de ces chroniques, au rythme ... Lire la suite
  • Stéphane Grangier, "Tour mort" : cavale fatale entre Rennes et Belle-Ile
  • Stéphane Grangier nous a habitués dans ses précédents romans (Hollywood Plomodiern et Fioul, tous deux parus chez Goater noir) à des histoires de paumés, de dérives plus ou moins dangereuses, de ... Lire la suite
  • Frédéric Paulin, "Nul ennemi comme un frère" : le Liban, paradis perdu ?
  • Entre 1975 et 1977, j'habitais une petite rue entre Opéra et Madeleine. Des professionnelles de la profession y exerçaient leur métier à bord de leur Austin Mini, toute blondeur dehors. Il n'y avait ... Lire la suite
  • Adrian McKinty, Des promesses sous les balles : Sean Duffy sur le fil du rasoir
  • La dernière fois que je vous ai parlé d'Adrian McKinty, c'était il y a un peine un an, sur le mode dépité, après la lecture d'un thriller plus que moyen, Traqués, signé de notre irlandais préféré. ... Lire la suite
  • Liam McIlvanney, Retour de flamme : McCormack is back
  • En 2019, nous découvrions avec enthousiasme Le Quaker de Liam McIlvanney et son enquêteur l'inspecteur McCormack, confronté à un serial killer et surtout à une ville en pleine déréliction, Glasgow ... Lire la suite
  • Valerio Varesi, "La Stratégie du lézard" : Parme, neige et chaos
  • Chaque année, la parution d'un nouveau Valerio Varesi est un moment privilégié : certes, on éprouve un certain confort à retrouver Soneri, c'est le principe du personnage récurrent. Mais avec ... Lire la suite
  • Arpád Soltész, un homme en colère
  • Arpàd Soltész, auteur de Colère (voir la chronique ici), était présent au festival du Goéland Masqué (Penmarc'h) du 18 au 20 mai 2024. Depuis peu, il a quitté la Slovaquie pour s'installer à Prague ... Lire la suite