Ah l’âge, le temps qui passe, les rides, les muscles qui ne
sont plus qu’ils étaient, les idéaux en berne, et tout ce qui va avec… Comment supporter
ça, cet insupportable déclin, ce naufrage, comme disent certains ?
Dominique Forma a trouvé sa parade personnelle avec ce roman à la fois noir et
drôle, mélancolique et culotté (ou pas), où il associe son goût pour l’intrigue
et son penchant pour une certaine forme de sensualité.
Le Cap d’Agde, qu’est-ce que ça évoque pour le lecteur lambda ?
Le soleil, la plage, le naturisme, et puis, le soir, pour certains, la fameuse
Baie des Cochons où se retrouvent celles et ceux pour lesquels « le
plaisir, c’est maintenant. Dans la vie, il faut pro-fi-ter. Trois syllabes pour
que la jouissance virevolte entre tango et mambo. » Tel est le credo d’André
Milke, venu passer quelques jours au château de Garens, propriété viticole
appartenant à son vieil ami Luc Dallier. Ces deux-là se sont connus quarante
ans auparavant : tous les deux ont fait le coup de poing sous l’étendard de
la Gauche prolétarienne, combattu l’extrême-droite et la flicaille.
Si Luc s’occupe
désormais du domaine familial, André est devenu journaliste, puis documentariste.
Les deux hommes ne se sont pas vus depuis longtemps, mais Luc a appelé son
vieux complice : il vient de rencontrer une jeune femme, Emma Paretto, et
il voudrait la présenter à André. Emma la Normande, ses joues rondes et sa
candeur, sa jeunesse et son charme…
Ce soir-là, André a décidé de laisser le jeune couple à ses
amours. Le voilà parti vers ce bout de plage naturiste, un peu à l’écart du
centre du Cap d’Agde, loin du tourisme familial, des bars et des boîtes. Direction
la Baie des Cochons. Il s’est soigneusement préparé à une soirée bien
chaude : toilette soignée, Habanita – un parfum que je croyais
oublié – torse nu, short australien et boucle d’oreille, sac banane pour les
clés, le portable et les préservatifs : notre héros est fin prêt. La
première sera la bonne… Justement,
là-bas, dans la pénombre des dunes, des ombres masculines sont rassemblées
autour d’un mystérieux trésor. Les hommes s’éloignent vite, trop vite, laissant
derrière eux une femme étendue sur le ventre, nue, qui n’attend plus que lui. Elle
est belle, très blanche, alanguie. Trop alanguie. La femme est morte, raide,
froide, son corps est marqué de traces terribles, de griffures profondes. Pire
encore, cette femme n’est pas une inconnue : elle s’appelle Emma Paretto…
A une trentaine de kilomètres de là, à Béziers, Clovis
Martinez, kiosquier à la retraite forcée, rumine son passé de militant OAS et
ses relations houleuses avec le journaliste André Milke, un de ses ennemis
jurés, « racaille gauchiste » avec lequel il s’est régulièrement « fritté »
depuis plus de 40 ans. Nostalgique,
aigri, rageur, Clovis s’est installé à Béziers, où il a pour voisine provisoire
la jeune Alexe, qui a quitté la grisaille parisienne pour s’offrir des vacances
à thème. Certains partent faire de la voile, du
tennis ou du cheval. Alexe, elle, veut se faire sauter par un maximum de
types. « Durant les vacances d’été,
tout est bon dans le garçon. » Du coup, elle agace sérieusement son vieux
voisin ronchon, qu’elle provoque avec un plaisir non dissimulé. Et devinez quoi ?
Ces deux-là vont devenir copains comme cochons.
Au château de Garens, c’est la désolation. En plus de l’assassinat
d’Emma, Luc Dallier doit faire face à l’incendie qui a emporté la discothèque
qu’il projetait d’ouvrir avec Emma sur le terrain du château. L’enquête sur le
meurtre n’avance pas beaucoup, et en plus les affaires ne sont guère
florissantes, malgré les efforts d’Anaïs Lylle, jeune diplômée engagée
par Luc Dallier pour mettre de l’ordre dans la société familiale. Anaïs a un
gros défaut : elle est laide, sans charme. Elle a deux grandes qualités :
son intelligence et son sens des affaires. Elle est tellement maline, Anaïs, qu’elle
n’est pas vraiment ce qu’elle semble être.
Photo Martin Lindner [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)]
- https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f5/Village_Naturiste_Cap_d%27Agde-3.JPG
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Comment ces personnages vont-ils finir par se retrouver pour
s’efforcer d’élucider le mystérieux assassinat d’Emma ? C’est ce que
raconte Coups de vieux. Dominique Forma est un auteur chevronné : il sait
monter une intrigue, caractériser et manipuler ses personnages, faire avancer
son histoire. Il sait aussi creuser la personnalité de ses protagonistes à l’aide
de flash-backs et de pas de côté. Du coup, il nous embarque sans difficulté
derrière lui, et nous harponne en vérité davantage avec ses personnages, en
particulier ses deux vieux frères ennemis dont le rapprochement montre que même
quand les combats sont différents – et dans ce cas-là, ils le sont diablement -
, ce qui compte, c’est de se battre ; contre l’âge et ses vicissitudes,
contre la pourriture du monde…
Je mentirais si je passais sous silence un certain agacement
ressenti par la féministe qui sommeille en moi – elle a le sommeil léger - face au sort réservé aux personnages féminins… La jeune Emma fait un passage éclair dans le
récit, puisque c’est elle la victime. Alexe – Jacqueline est son vrai prénom – est
une femme dont « le corps balance entre vice et vertu », et qui a
choisi son côté, pas forcément celui qui rend heureuse. « Le reste de l’année,
Jacqueline garde la tête baissée, celle-là, elle ne vaut rien, tu ne veux pas
la rencontrer », déclare-t-elle à Clovis. Le libertinage ne rendrait-il
pas heureux ? Quant à Anaïs, la fille laide, son intelligence et ses
qualités de stratège ne lui seront pas d’un grand secours. Bilan, côté femmes :
la déroute. Pour être honnête, le bilan, côté hommes n'est guère plus réjouissant, les souvenirs en plus, ces
cadeaux empoisonnés qu’apporte la vieillesse. Bref, malgré sa truculence, Coups
de vieux est finalement… un vrai roman noir.
Dominique Forma, Coups de vieux, « La Bête noire »,
Robert Laffont
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