22 novembre 2019

Arpád Soltész, Il était une fois dans l’Est : à l'Est, pas de salut


La Slovaquie, partie de l’ex-Tchécoslovaquie de 1918 jusqu’à son indépendance en 1992, fait aujourd’hui partie de l’Union européenne et de la zone euro. Un bilan idyllique qui pourrait laisser penser à un observateur négligent que tout va bien sous le soleil de Slovaquie… Mais en ces périodes de commémoration de la chute du Mur de Berlin, il n’est pas inutile de se pencher sur le sort de ces pays qui, après avoir subi le joug soviétique, se sont retrouvés plongés dans ce qu’on appelle la modernité et le libéralisme. Arpád Soltész, journaliste et premier auteur de roman noir slovaque publié en France, a pris à bras le corps cette mission colossale… Avec Il était une fois dans l’Est, il dresse un bilan inquiétant et brosse un portrait impitoyable de l’état des choses en Slovaquie. 

Croyait-on vraiment que le passage de la contrainte soviétique aux joies du capitalisme débridé s’était déroulé sans douleur et sans conséquences ? Si telles étaient nos illusions, Arpád Soltész, avec Il était une fois dans l’Est, les fait voler en éclats. Nous sommes à l’est de la Slovaquie, bien loin de la capitale Bratislava, tout près des frontières hongroise, polonaise et ukrainienne. Là-bas plus  qu’ailleurs, on va le voir, le crime et la corruption franchissent allègrement les frontières…


C’est la très jeune Veronika qui va servir de fil rouge à l’histoire : là-bas comme ailleurs, les femmes sont les premières exposées aux convoitises, qu’elles soient sexuelles ou financières, voire les deux à la fois. Ce jour-là, à la fin des années 1990, Veronika, 17 ans, fait du stop en face d’un hypermarché : « cet endroit est un abcès purulent sur le trou du cul du monde », écrit Arpád Soltész. Le ton est donné. Il fait très chaud, il pleut à verse, Veronika est trempée dans ses leggins, son méchant tee-shirt moulant, perchée sur ses talons hauts. Elle sort tout juste d’une galère avec un sale type qui l’a traitée comme une moins que rien, elle n’a plus un sou pour rentrer chez elle, à Kamenná Roztoka, un bled à l’est de Košice. 

Košice - (Source : http://www.traveltipy.com)

La Mercedes verte qui s’arrête devant elle est donc la bienvenue. Les deux vieux types – quarante ans, au moins – qui occupent la Mercedes n’ont rien de séduisant. Les présentations sont vite faites : Mammouth et Vasil’, les deux hommes ont un accent russe. Ou ukrainien.  A la radio, Britney Spears braille.  Le lecteur sait d’ores et déjà que les deux hommes de la Mercedes ont une idée derrière la tête. Bientôt, Veronika aussi. Le lecteur et Veronika ont raison, puisqu’elle va bientôt prendre une beigne, se faire dépouiller de son sac à main et de son vieux téléphone, avant de se retrouver enfermée dans un minable appartement puant, où règne une chaleur d’enfer. Brutalisée, violée successivement par les deux hommes qui, clairement, s’apprêtent à la vendre à un réseau de prostitution après avoir copieusement abusé d’elle. Les Albanais ? Ce serait le pire. Veronika est terrorisée, elle a raison. Elle a de la chance dans son malheur, car ces deux ordures sont aussi de parfaits imbéciles. Veronika parvient à s’échapper. Mais le cauchemar n’est pas terminé. Maintenant, il va falloir fuir, puis se cacher…

A partir de là, Arpád Soltész va déployer un incroyable dispositif narratif, avec une galerie de personnages plus  repoussants les uns que les autres, parmi lesquels il faudra batailler pour trouver le chevalier qui essaiera de sauver la blanche damoiselle. Ce chevalier-là est journaliste, il s’appelle Pavol Schlesinger. Et on n’a pas idée des couleuvres qu’il va devoir avaler pour mener à bien – ou pas – sa mission. Ce journaliste-là n’a pas froid aux yeux, et sa curiosité n’a pas de limites.  Il va devoir plonger dans un maelström de corruption, de violence, de mort et de sang. Croiser le fer avec la grande internationale du mal, apprendre la compromission : dans cette région frontalière, les malfrats viennent de partout, y compris des anciens services secrets, les politiciens sont pourris jusqu’à la moëlle, les hommes de loi aussi : la globalisation n’est pas un vain mot. Et face aux policiers, la plus grande méfiance est de rigueur.  D’où peut venir le salut ? De nulle part, probablement… Puisque 20 ans plus tard, certains protagonistes sont toujours là.  Les juges sautent sur des bombes dans les toilettes, les jeunes filles continuent à faire le tapin là où Veronika a été enlevée, et la vengeance a de multiples visages… 

Arpád Soltész, Il était une fois dans l’Est, traduit par Barbora Faure, Agullo éditions

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