1 septembre 2021

William McIlvanney et Ian Rankin, « prequel » à quatre mains

Dans quelques jours sortira au Royaume-Uni The Dark Remains, « prequel » de la légendaire trilogie des Laidlaw du grand William McIlvanney (Laidlaw, Les Papiers de Tony Veitch  et Étranges loyautés, tous publiés chez Rivages). William McIlvanney nous a pourtant quittés, deux ans après la réédition de ses romans, épuisés en langue anglaise depuis de nombreuses années. The Dark Remains est donc le fruit du travail de l’illustre Ian Rankin, qui admirait et connaissait McIlvanney et qui a accepté de se plonger dans les notes de l’auteur. Ce mois d’août, il répondait aux questions de Karen Campbell, ancienne policière de Glasgow devenue auteure de romans policiers, dans le cadre du Festival international de littérature d’Edinburgh. Morceaux choisis.


« C’était une immense responsabilité… J’ai été contacté par l’éditeur de William McIlvanney, Canongate. Siobhan, la dernière compagne de William McIlvanney, voulait savoir s’il y avait suffisamment de matière dans les notes abondantes laissées par William pour envisager d’en faire un roman. Nous avons donc lu ces notes et constaté qu’en fait, William préparait deux romans : un « prequel » de la série Laidlaw, et un autre ouvrage qui devait clôturer la série, sa dernière enquête. S’il y avait clairement de quoi travailler sur le « prequel », en revanche, en ce qui concerne le dernier volume, il n’y avait pas grand-chose. William savait où il allait, donc il n’avait pas pris le temps de rédiger.  Siobhan a souhaité que je me charge de la rédaction du « prequel ». J’ai opté pour la prudence et j’ai demandé à l’éditeur de me laisser faire un galop d’essai avant de m’engager définitivement. Ensuite, j’ai pris une grande respiration et j’ai fini par accepter. 

Il fallait faire les choses bien, rester fidèle à William McIlvanney, ce qui n’était pas évident car  nos deux styles sont très différents : le sien est beaucoup plus poétique que le mien, il a fallu que je saisisse son rythme. Je suis devenu une sorte de ventriloque… C’était un travail très inhabituel : au début, c’était presque de l’archéologie. Puis c’est devenu un travail de détective, et enfin il a fallu reconstituer le puzzle. Il a aussi fallu lire entre les lignes pour décider de l’identité de l’assassin. J'ai dû m’imprégner du contexte : Glasgow en 1972. Les notes contenaient des portraits assez détaillés des personnages – même si la victime changeait de nom en cours de route – mais j’ai dû aller en bibliothèque, lire les journaux de l’époque, examiner les plans des rues de Glasgow à l’époque, parler aux écrivains de Glasgow. D’ailleurs, j’attends le retour de bâton de leur part des auteurs ! C’est vrai qu’Edimbourg et Glasgow sont deux villes très différentes, surtout en termes de violence et de désindustrialisation. A l’époque, la plupart des taudis du centre ville étaient détruits et les gens étaient relogés dans des cités de banlieue. Je me suis efforcé d’habiter cet univers, et aussi de m’adapter aux spécificités du temps : pas d’ADN, pas d’internet, pas de téléphone portable, tout le monde fumait ! Heureusement, depuis 40 ans je lisais et relisais les romans de McIlvanney, cela m’a beaucoup aidé. Et le fait de l’avoir connu aussi : cela m’a permis de m’imprégner de sa personnalité d’homme.

J’ai rencontré William McIlvanney au tout début de ma carrière, en 1985. Je me rappelle un événement qui avait lieu dans une librairie de Glasgow. Il n’y avait pas grand monde, j’étais un inconnu à l’époque. William est entré et tout de suite l’atmosphère a changé : il y avait de l’électricité dans l’air. Il m’a acheté un livre – je lui ai fait payer, si mes souvenirs sont exacts. Ensuite, nous sommes allés boire quelques verres au Horseshoe Bar. C’était quelqu’un d’adorable, chaleureux, intelligent, généreux. Il était très ouvert aux jeunes écrivains. Je me souviens lui avoir envoyé une lettre lorsque j’habitais en France : je me demandais si je n’allais pas écrire mes romans suivants à la première personne, comme il l’avait fait avec Laidlaw. Je voulais m’assurer qu’il ne prendrait pas ça comme un plagiat. Je n’ai jamais eu de réponse… Bien longtemps après, je lui ai rappelé l’anecdote et il m’a répondu qu’il avait perdu mon adresse.(…). Du coup, j'ai continué à écrire mes enquêtes de Rebus à la troisième personne...

William McIlvanney en 2015, au Festival du Goéland masqué (Penmarch')

Il a mené sa carrière de façon très personnelle : son éditeur lui avait dit que s’il continuait la série des Laidlaw, il deviendrait riche. Mais il ne voulait pas. Il a donc publié ce qu’il souhaitait : de la poésie, des essais, des nouvelles, etc. Du coup, il a perdu le lectorat qu’il s’était acquis avec ses Laidlaw. Quand j’ai appris que les livres étaient épuisés, je n’en revenais pas car pour moi ils faisaient partie de mes inspirations majeures. Les éditions Canongate lui ont proposé de les rééditer, ce qui a été fait. En 2013, j’ai été invité au Festival de Harrogate pour l’interviewer à la suite de ces rééditions. 

Ian Rankin et William McIlvanney au Festival de Harrogate en 2013

Ce matin-là, il me disait qu’à son avis, il n’y aurait pas grand monde. Pour arriver jusqu’à la scène, il fallait traverser toute la salle, au milieu des spectateurs. Et la salle était pleine à craquer : 800 personnes étaient venues pour lui. Il n’en revenait pas, il était si ému… (j’ai eu la chance d’assister à cette interview, voir l’article ici). Du coup, il s’est rendu compte que le public aimait ses livres et a repris courage. Quelle tragédie qu'il soit mort juste au moment où cette nouvelle énergie lui avait permis de donner naissance aux deux projets dont nous avons retrouvé la trace dans ses notes...

Dans The Dark Remains, Laidlaw fait ce qu’il sait faire : il observe, parle avec les gens, se met en osmose avec eux. Je dois dire que mon personnage de Cafferty est très inspiré du gangster de Glasgow créé par McIlvanney. 

Cela fait un moment que je tourne autour de l’idée d’écrire un « prequel » aux enquêtes de Rebus, et je dois dire que ce travail m’a donné les outils pour le faire si je me décide un jour…

J’ai fait de mon mieux, et j’espère avoir rendu justice à William McIlvanney. »

Le livre sort le 7 septembre au Royaume-Uni, et on croise les doigts pour qu’il soit bientôt traduit en français.

Si vous souhaitez voir la vidéo de cette interview, elle est disponible sur le site du Festival d’Edimbourg.


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