20 décembre 2025

Jakub Szamalek, "La Station" : huis-clos dans l'espace


Depuis plusieurs années, tout au long de ses trois romans de la "Trilogie du dark net", l'auteur polonais Jakub Szamalek explore avec une audace et un talent narratif hors du commun le monde contemporain, du dark net à la cybersécurité en passant par les coulisses du jeu vidéo et du milieu des influenceurs. Loin des fantasmes et de la fascination béate pour les technologies qui façonnent notre vie quotidienne, il sait décrire, raconter, vulgariser intelligemment et tisser à chaque roman une histoire fascinante et documentée qui, mine de rien, nous incite à la lucidité et à la vigilance. Avec La Station, changement de décor: c'est à bord d'une station spatiale internationale qu'il a choisi d'embarquer ses lecteurs. Inutile de dire qu'on est bien loin des belles histoires à la Thomas Pesquet. Avec Szamalek, on va vite comprendre qu'aujourd'hui, les enjeux scientifiques et humanistes ont depuis longtemps laissé la place aux ambitions géopolitiques et économiques des grandes puissances. Nous voilà donc à bord de la Station, occupée par un équipage international piloté par la commandante Lucy Poplaski. Le groupe est composé de deux cosmonautes russes, un botaniste et un ancien militaire américains et d'une riche Américaine à la tête d'un empire technologique, seule embarquée en tant que civile dans l'expédition. Chacun a sa propre mission, celle de Lucy consistant principalement à assurer la cohésion du groupe et le bon déroulement du vol. 

La description de la vie à bord ne fait pas rêver : les contraintes, la promiscuité, les petites défaillances techniquesconco urent à la rendre franchement pénible. Szamalek sait décrire le quotidien, ses frustrations, ses rancoeurs et développe avec chaque personnage une atmosphère de plus en plus conflictuelle, où la méfiance prend le pas sur l'esprit d'équipe. En parallèle, il brosse avec une précision et un sens de la synthèse rares le portrait d'une situation mondiale de plus en plus complexe, où le savoir faire russe en matière de recherche spatiale s'est depuis longtemps laissé dépasser, où les USA reprennent le leadership tout en gardant un oeil sur la Chine dont les ambitions sont sans limites. On comprend aussi très vite que la vision à long terme a elle aussi cédé le pas à la recherche du profit à court terme, et que les décisions qui se prennent à terre n'ont plus grand-chose à voir avec le grand rêve international qu'on nous a fait miroiter au cours des années. 

Bientôt, rien ne va plus à bord. Entre les occupants pour commencer : les deux cosmonautes russes font d'emblée l'objet de méfiance et d'hostilité de la part de leurs compagnons de bord, la civile américaine est malade comme un chien, l'ancien militaire n'est pas très clair et le botaniste a du mal à cerner son rôle dans cette équipe. Quant à Lucy, tiraillée entre les instructions qu'elle reçoit et la nécessité de maintenir un semblant d'ordre à bord, on n'aimerait pas être à sa place ! En plus, elle a laissé derrière elle un mari et une petite fille, et son absence pose bon nombre de questions. D'autant que peu après le grand départ survient une éruption solaire qui provoque des dysfonctionnements importants à bord. Pour tout arranger, peu de temps après, on constate une fuite d'ammoniac très dangereuse, dont il faut absolument déterminer l'origine pour la neutraliser. Et là, rien ne va plus. Les recherches classiques ne donnent rien, l'atmosphère déjà délétère se charge non seulement d'ammoniac, mais aussi de suspicion et d'hostilité. A terre, les décisionnaires ne sont pas d'un grand secours, tout occupés qu'ils sont à subir les pressions politiques et à prendre des décisions qui n'ont rien de scientifique et qui mettent en danger l'équipage. A bord, l'esprit d'équipe des astronautes ne résiste pas bien longtemps au danger et aux soupçons, laissant la place à une hostilité ouverte. Et puis, chacun sait que les crises sont souvent des moments de vérité, et les sales petits secrets de chacun vont bientôt ressurgir, à terre comme dans l'espace.

Szamalek fait encore une fois la démonstration d'une intelligence rare, d'un souci de la vraisemblance et d'un sens du suspense consommés, notamment lors d'une scène de sortie des astronautes hors de leur station, particulièrement chargée en émotions. Et surtout, il ne manque pas de laisser dans son sillage une multitude d'interrogations sur le monde qui nous entoure et les menaces qui nous guettent. Dans le "Mot de l'auteur" qui conclut le roman, il déclare : "Comme vous vous en doutez, je n'ai jamais séjourné à bord de la Station spatiale et, pour être honnête, je ne pense pas que j'aimerais le faire." Comme on le comprend !

Jakub Szamalek, La Station, traduit par Kamil Barbarski, Métailié

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