Nous sommes en pleine guerre de 14/18 et les réfugiés affluent en Angleterre. Parmi eux des Belges d'un exotisme déconcertant pour une jeune fille tout à fait bien élevée qui vit dans un charmant village typiquement britannique avec ses espaces verts entretenus et ses cottages aux toits de chaume. Voilà-t-y pas que mademoiselle Agatha, c'est bien d'elle qu'il s'agit, est mise au défi par sa sœur de concocter un roman policier, genre très en vogue à cette époque. Celle-ci voit en elle un potentiel d'écrivain à énigme.
Agatha ne fait ni une ni deux et prend la plume à ses heures perdues pour nous narrer l'histoire d'un crime inexpliqué commis dans le village de Styles Saint-Mary par une belle journée de juillet. Bien sûr il sera question de poison car c'est sa spécialité de par son travail en milieu hospitalier. En quelques lignes elle brosse avec le succès que l'on connaît les portraits des trois protagonistes principaux de son œuvre à venir. Il y a tout d'abord le fameux Hercule Poirot, un détective belge reconnaissable à sa moustache lissée et à son crâne en forme d'œuf. Sans oublier ses petites cellules grises qui ne demandent qu'à s'agiter. Agatha Christie se sert comme modèle de ces réfugiés belges, qu'elle côtoyait alors, pour façonner son personnage récurernt dans ses nombreux romans basés sur le schéma du crime à énigmes. Ensuite elle nous présente son capitaine Hastings, en quelque sorte le faire valoir de Poirot qui, contrairement au docteur Watson décrit comme le souffre-douleur de Sherlock, tiendra véritablement un rôle d'ami fidèle auprès d'Hercule qui le considèrera toujours avec bienveillance voire avec un petit côté paternel et protecteur. Hastings doit avoir avoir environ 30 ans de moins que Poirot (65 ans alors); ce dernier est décrit comme détective à la retraite dans ce premier roman fondateur. Chacun veillant sur l'autre, ils vont dénouer bien des mystères sans trop se fatiguer car ces deux lascars sont des calmes. Bien sûr Hastings est dépeint comme un aimable naïf complice des excès de son mentor, toujours prêt à prendre le volant pour voler au secours de la veuve et de l'orphelin, participant avec plus ou moins de succès mais toujours bonne humeur et flegme aux enquêtes du boss en permettant ainsi à l'auteur de nous balader sur de fausses pistes, la spécialité du cap'tain. Enfin apparait le dernier de la bande: l'inspecteur Japp de Scotland Yard, s'il vous plaît. Là aussi une comparaison avec les protagonistes de Conan Doyle s'impose. Les flics de Sherlock sont des ânes bâtés, stupides et prétentieux, incapables de voir plus loin que le bout de leur nez, refusant systématiquement l'aide que peut leur apporter le détective avisé. Alors que chez Agatha Christie, Japp est tout de suite sympathique et sait apprécier les talents de Poirot. On sent qu'il existe entre eux les prémices d'une sincère amitié basée sur l'admiration de l'élève envers le maître. Japp n'hésite pas à demander son avis au petit Belge lorsqu'il est confronté à une impasse. Prenant à parti les autres protagonistes qui contesteraient les capacités de Poirot pour leur faire valoir la justesse des déductions du détective qu'il met toujours à profit pour arrêter le vrai coupable.
Pour en revenir au roman, Agatha Christie fait montre d'une réelle culture littéraire dans ce premier jet en peignant les affres d'une bourgeoisie aristocratique, ou d'une aristocratie embourgeoisée, c'est selon, encline aux dettes endémiques et que l'héritage d'une tante souffreteuse qui tarde à quitter notre terre de lamentations, remettrait à flot. Évidemment, la tata est mariée à un drôle de barbu (15 !) qui n'a pas l'intention de se laisser flouer. Lequel va gagner et empocher le magot? C'est en fait là que se trouve la véritable énigme car s'il est besoin d'un coupable que l'on conduira enchaîné à l'échafaud, c'est principalement le gagnant du jackpot que l'on attend au tournant.
La mystérieuse affaire de Styles est construite de façon tout à fait académique: Présentation des protagonistes avec moult détails sur l'environnement et le train-train quotidien de ces braves gens dans les premiers chapitres. Un texte ponctué de dialogues et de descriptions cliniques sous la plume du narrateur qui n'est autre que Hastings lui même. Enfin arrive l'heure du crime, tard dans la nuit, dans une inévitable chambre close comme c'est la coutume dans ces belles demeures anglaises qui fleurent bon la cire d'abeille et la strychnine. Poirot et Hastings se mettent au boulot et vont mener l'enquête au petit trot. Bien sûr ils se lanceront tout d'abord sur plusieurs fausses pistes pour faire durer le plaisir avant de nous livrer le coupable sur un plateau, avec tasses de thé et sandwich au concombre, dans la fameuse scène finale dans laquelle sont réunis tous les personnages qui ont participé à l'enquête. Avec le coup de théâtre qui deviendra la marque de fabrique de la "queen of crime".
Ce premier roman paru en 1920 est entièrement structuré autour de rencontres avec les individus plus ou moins louches qui peuplent la scène de crime: la famille, les domestiques et les commerçants du village, tout le monde y passe. Bien sûr un bon nombre d'indices sont disséminés dans ces récits qui se recoupent ou s'invalident. certains sont effectivement primordiaux mais la plupart sont totalement futiles et uniquement destinés à induire en erreur le lecteur inexpérimenté que nous sommes. D'autant que cette chère Agatha a mis la barre haut dès sa première tentative. Il sera question de bougeoirs qui changent de place fortuitement et dans lesquels se trouve une des clefs de l'énigme. De barbes vraies ou fausses portées par des individus louches à l'allure patibulaire mais presque. Même chose avec le choix du poison. Pas question de verser une bonne dose de strychnine dans la tasse à café façon Cluedo. Non, ici il sera question de réactions chimiques complexes et de dépôts de cristaux mortels obtenus astucieusement et de façon tout à fait préméditée à partir de potions au demeurant inoffensives si l'on se conforme à la bonne posologie.
Pour conclure cette mise en bouche à l'art culinaire de tata Agatha, on ne peut que conseiller de lire ou relire ce petit livre (environ 220 pages) d'une saveur sans pareil qui vous mettra en appétit et vous donnera certainement envie de remettre le couvert au plus vite.
On trouve très facilement La mystérieuse affaire de Styles sous la forme de petits livres de poche économiques ou de compilations plus coûteuses. Allez donc jeter un œil sur les sites spécialisés dans la vente de livres et vous trouverez certainement votre bonheur.
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