24 avril 2011

Conseil d'écriture : Matt Rees, sa méthode anti-angoisse de la page blanche

Cet auteur de formidables romans policiers dont deux sont chroniqués dans ce blog, nous a autorisé à traduire ce texte qu'il vient de publier sur Facebook, et qui devrait aider bien des auteurs en herbe. Merci à lui !

Le blocage de l'écrivain, ce qu'on appelle l'angoisse de la page blanche, n'a rien à voir avec l'écriture. Cela pourrait sembler évident. Quand un écrivain veut écrire, mais qu'il n'y arrive pas, il est bloqué. Il n'écrit pas. Bloqué. Mais ce n'est pas l'écriture qui provoque le blocage. Ce n'est pas non plus un problème psychologique ou une incapacité à faire surgir la Muse inspiratrice.
C'est parce que l'écrivain n'a pas commencé par tout noter sur ses petites fiches.

Souvent, des auteurs en puissance ou des amis journalistes qui franchissent le pas de l'écriture de livres, c'est-à-dire qui montent d'un cran (en longueur et en pression sur l'ego) me demandent comment éviter l'angoisse de la page blanche.  ("Sept cents mots, ça va très bien", disent ces journalistes, "mais un livre... je n'ai pas la concentration suffisante. Je vais bloquer, c'est sûr"). Ils me posent la question parce que pendant qu'eux se stressent et souffrent à l'idée d'écrire, alors que moi j'ai l'air d'y prendre plaisir. C'est vrai qu'en quatre romans et un essai publiés ces six dernières années, jamais je n'ai connu l'angoisse de la page blanche.

Mon truc pour leur venir en aide : je leur achète des fiches.
Pour se libérer de l'angoisse de la page blanche, la clé est d'éviter la tendance naturelle qui consiste à penser que le livre tout entier doit se trouver à tout moment à l'avant de votre tête. Mettez-le donc à l'arrière, ou à tout autre endroit de votre corps qui vous semblera judicieux. Ce que vous devez avoir devant les yeux, c'est le plus petit morceau possible du livre que vous voulez écrire.

Commençons par voir ce qui se passe quand il s'agit d'un essai.
Au moment où j'écrivais Cain’s Field: Faith, Fratricide, and Fear in the Middle East, que j'ai publié en 2004 et qui a pour sujet les divisions internes à l'intérieur des sociétés israélienne et palestinienne, j'ai mis au point une méthode qui m'a procuré à la fois la structure et l'impulsion.

J'ai repris toutes les notes issues de mes dix années de journalisme au Moyen Orient et j'ai noté les points les plus importants sur des fiches, en indiquant des renvois de l'une à l'autre. A la fin, la pile faisait 10 cm de haut !

Je pensais qu'il me fallait huit chapitres, car je voulais analyser huit éléments de ces sociétés - le conflit entre le Hamas et le Fatah, les luttes entre les juifs ultra-religieux et les Israéliens laïques... J'ai donc trié mes fiches en plaçant chacune d'entre elles dans une pile qui représentait un chapitre.

J'ai repris chaque pile, que j'ai divisée en ce que j'ai appelé des "séquences". Par exemple, dans le chapitre sur le Hamas et le Fatah, j'avais une séquence qui concernait un jeune homme tué à Gaza vu à travers la perspective de son frère, un bras armé du Hamas, une autre vue à travers la perspective de son cousin, de son père, et une sur l'histoire du Hamas, une autre encore sur un jeune garçon qui avait été tué en même temps que le premier.

A l'intérieur de chaque séquence, j'ai réfléchi à comment j'allais raconter l'histoire. Et soudain, le livre était fini. Il me restait juste à compléter les lacunes en écrivant ce qui se trouvait déjà devant moi, sur mes fiches. Je n'avais pas à me préoccuper de la suite du travail - car elle était là, sur la fiche du dessus de la pile suivante. Je n'avais plus qu'à écrire, et comme je l'ai déjà dit, l'écriture ne fait pas partie de l'angoisse de la page blanche.

La même méthode marche aussi pour la fiction.

Lorsque j'écris mes romans policiers palestiniens, je prends une fiche pour chaque chapitre. Sur cette fiche, il y a des renvois vers les notes que j'ai prises lors de mes séjours dans des villes de Palestine, vers des conversations avec certains Palestiniens sur lesquels j'ai basé mes personnages. Je complète mes fiches avec des aides-mémoire pour les phrases que je veux mettre dans la bouche de mes personnages. J'écris la date et l'heure à laquelle se déroulera le chapitre dans une encre de couleur différente. Je fais la même chose pour les personnages impliqués, les indices révélés, les objets qu'on doit voir, les événements qui doivent être annoncés.

Lorsque je commence à travailler un chapitre, je sais toujours où il doit aboutir. C'est pour cela que mes seuls moments d'angoisse, qui se manifestent par une sensation de nausée au creux du ventre, se produisent pendant la période d'un ou deux jours pendant laquelle je me pose vraiment la question de savoir comment le détective passe du meurtre à la solution. Quel est l'indice dont il a besoin pour faire le lien et identifier le meurtrier? C'est à ce moment-là que je me rapproche peut-être de l'angoisse de la page blanche, et ce n'est pas une sensation agréable.
Voilà pourquoi j'ai écrit ces quelques lignes. J'espère qu'elles vous seront utiles.>>

Matt Rees et les enquêtes d'Omar Youssef :

Le collaborateur de Bethléem, traduit par Odile Demange, éditions Albin Michel, également disponible en poche

Meurtres chez les Samaritains, traduit par Guillaume Marlière, éditions Albin Michel

Une tombe à Gaza, traduit par Guillaume Marlière, éditions Albin Michel, également disponible en poche

Son prochain roman paraît le mois prochain en anglais sous le titre de The Fourth Assassin et le blog du polar l'attend avec impatience.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur son site internet

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