L’écriture et le cinéma
Avez-vous des nouvelles de l‘adaptation de Seul le silence par Olivier Dahan ?
Absolument aucune ! J’ai écrit le scénario pour Olivier, cela fait presque deux ans qu’il l’a entre les mains. A mon avis, c’était un bon scénario, qui captait bien l’essence émotionnelle du roman. En fait, je crois que M. Dahan s’est désintéressé du projet. Je pense que nous allons essayer de trouver un autre metteur en scène, qui aura une véritable sensibilité par rapport à l’émotion provoquée par l’histoire, et qui n’aura pas peur de réaliser un « thriller au ralenti ! »
Comment avez-vous vécu cette expérience d’écriture ?
Pour simplifier, je dirais que lorsqu’il s’agit d’adapter un roman qui va un peu plus loin que le film d’action moyen, on a affaire à des pensées, des monologues intérieurs de la part des personnages principaux, et c’est à cela qu’il faut travailler. Ce que pensent et ressentent les personnages constitue une partie significative de l’histoire. D’où une contradiction intrinsèque quand il s’agit d’adapter un roman. Le livre, la plupart du temps, se concentre sur ce que nos personnages pensent et ressentent. Le film, quant à lui, se concentre sur ce qu’ils font ou disent. Souvent, la difficulté à laquelle on se heurte quand on veut adapter un roman à l’écran, c’est qu’il faut créer des scènes racontant certains aspects de l’histoire qui dans le livre restent intériorisés par les personnages. En outre, un livre contient en moyenne une scène importante tous les mille mots. Ce n’est pas une règle absolue, mais toutes les trois ou quatre pages on introduit un nouveau personnage, ou bien un dialogue nécessaire à la progression de l’intrigue, un conflit, une résolution, une fausse piste. Au cinéma, il faut une scène significative toutes les trois ou quatre minutes, au maximum. Au-delà, le spectateur est noyé sous l’information, il ne peut plus absorber. C’est là qu’est l’énigme. Un livre de 100 000 à 150 000 mots donnera entre 100 et 150 scènes. Le film comporte à peu près une scène toutes les 3 minutes, et il dure entre 90 et 120 minutes. Le rôle de l’adaptateur et du scénariste est de prendre ces 150 scènes, toutes importantes pour l’histoire, et de les condenser pour les faire tenir dans les 30 ou 40 scènes d’un film. Comment faire, surtout si l’on considère qu’il faut ajouter d’autres scènes destinées à raconter les aspects de l’histoire qui dans le roman se situent dans les pensées et les émotions des personnages ? C’est loin d’être évident.
Quand on m’a demandé d’écrire le scénario de Seul le silence, le metteur en scène m’a dit qu’il savait que beaucoup d’aspects du livre devraient disparaître, mais qu’il voulait que le spectateur, en sortant de la salle, ressente le même impact émotionnel qu’un lecteur qui vient de terminer le livre. J’aimais bien cette idée, j’ai trouvé qu’elle constituait une bonne base de travail. J’ai écrit le scénario, et cela m’a appris beaucoup en termes de sobriété et de clarté dans les dialogues. Cela m’a aussi enseigné à en dire plus avec moins de mots. Bref, c’était une expérience très enrichissante. Quant à savoir si le film se fera, c’est une autre histoire !
Beaucoup de critiques et d’articles disent que vos romans semblent écrits pour le cinéma. Qu’en pensez-vous ?
Chroniques et critiques sont deux espèces animales bien différentes. Dans une chronique, l’auteur a pour but de donner au lecteur une vision globale de l’histoire. La chronique a une approche spécifique en ce sens que l’auteur veille souvent à ce qu’on sache bien qu’il s’agit de son avis personnel. La critique, c’est autre chose…. Les critiques sont généralement d’ordre plus hostile, plus punitif ! Elles mettent l’accent sur ce que leur auteur n’a pas aimé dans le livre. Les commentaires critiques peuvent avoir un effet ravageur sur la confiance de l’auteur, ils contribuent largement à l’omniprésent spectre d’auto-critique qui hante tous les créateurs. Nous passons notre temps à nous critiquer, à critiquer notre travail. Avons-nous vraiment besoin qu’on nous rappelle nos défaillances ? Peut-être, peut-être pas.
Il y a quelque temps, j’ai lu article qui suggérait que les créateurs, quel que soit le médium ou le genre, étaient composés de 50% d’ego et 50% d’insécurité. Ils ont suffisamment d’ego et d’arrogance pour penser que leur création mérite d’être proposée au monde extérieur, et en même temps, ils sont terrifiés à l’idée qu’elle puisse être détestée ou méprisée. Artistes, musiciens, danseurs, écrivains, poètes, comédiens – tous subissent les mêmes fantômes. Dans une certaine mesure, je crois que c’est un mal nécessaire, même si pour certain c’est très mal ressenti. Je pense que le piège guette les artistes quand ils commencent à se prendre très au sérieux. IL est parfaitement normal de prendre son travail au sérieux, mais quand on commence à se prendre au sérieux, les choses se compliquent. Quand on se met à devenir prétentieux et vaniteux quant à son propre travail, alors j’imagine que la critique devient presque une douleur.
Mon expérience personnelle et mes conversations avec d’autres auteurs – populaires ou moins connus – m’ont appris que tout naturellement, l’être humain a tendance à graviter autour du négatif plutôt que du positif. Face à 200 chroniques sur Amazon, l’auteur se concentrera sur les trois textes très négatifs, très durs plutôt que sur les 150 chroniques très enthousiastes. Est-ce dû à la nature humaine en général, ou est-ce spécifique à ceux qui s’efforcent de créer ? Je crois que c’est Oscar Wilde qui disait : « Peu m’importe ce que les gens disent de moi, pourvu qu’ils écrivent mon nom correctement…”. A mon sens, c’est du bluff, de la provocation. Ce que les gens disent de moi m’importe, et je suis sûr que c’était la même chose pour Oscar Wilde. Le tout est de ne pas en être trop affecté, car sinon les points de vue négatifs et critiques finissent par miner votre confiance en ce que vous faites. J’essaie de ne pas me concentrer sur les aspects négatifs, de ne pas penser à ce qu’un autre auteur aurait pu faire de mieux. Car, comme le disait Krishnamurti , « une vie de comparaison est une vie de malheur. »
Vous avez dit un jour que vous verriez bien Clint Eastwood adapter Seul le silence. Que diriez-vous de Martin Scorsese pour Vendetta ou de Michael Mann pour Les Anonymes ? Vous avez d’autres noms en tête ?
Je suis entièrement d’accord, quel drôle de hasard ! J’aime aussi beaucoup ce que fait David Fincher. J’ai également apprécié le travail de Ben Affleck dans Gone Baby Gone et The Town.
En général, les amateurs de littérature policière vouent un culte à l’âge d’or du film noir, les années 40 (Le grand sommeil, Le faucon maltais, Quand la ville dort…). Quels dix films emporteriez-vous avec vous sur une île déserte et pourquoi ?
J’adore ces films – l’écriture, les dialogues, la tension, la force des personnages. J’aime les films qui me racontent plein d’histoires à l’intérieur d’une seule histoire. Pas seulement les intrigues policières, mais aussi les « drames humains ». J’aime les films qui font appel à des sentiments couvrant tout le spectre des émotions humaines. J’aime les films qui vous font réfléchir, vous demandent un effort de compréhension. Voilà mes dix films préférés :
- Le Trésor de la Sierra Madre
- L’enfer est à lui
- La mort aux trousses
- L’inconnu du Nord Express
- Douze hommes en colère
- Les hommes du Président
- Capote
- Seven
- Les trois jours du Condor
- French Connection
Je dois dire que j’ai eu du mal à faire cette liste, mais elle donne une bonne idée du type de films qui m’intéresse.
Votre approche de l’écriture, votre volonté de susciter des émotions spécifiques chez le lecteur évoquent l’approche de l’Actors’ Studio. Est-ce que cette méthode qui, pour faire court, consiste à “stocker” en soi les émotions et les sensations ressenties à des moments marquants de la vie réelle afin de pouvoir y faire appel à volonté a quelque chose à voir avec la façon dont vous travaillez ?
Je pense que ces émotions sont là, déjà. Je persiste à vivre en expérimentant autant que je peux. Je dis souvent que si l’on n’est pas prêt à faire au moins une fois par mois quelque chose qui va embarrasser sa famille, alors c’est qu’on va perdre son sens de l’humour. La vie n’est pas une répétition, c’est la représentation ! Je pense que cette attitude contribue grandement à la vitesse, à l’intensité, à l‘immédiateté, à la spontanéité, à l’aspect organique de mon écriture. J’écris. J’écris, c’est tout. Je ne pense pas à ce que j’ai écrit avant d’avoir terminé. Et je vis de la même manière, j’essaie de faire en sorte que les choses soient aussi bien que possible, mais je n’ai pas peur de me tromper. Parfois, se tromper est le meilleur moyen d’apprendre à bien faire.
A suivre...
© Tous droits réservés - Entretiens pour le Blog du Polar (Avril 2011)
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