24 avril 2011

Simenon - Maigret, l'archéologue du roman policier

Le style d'écriture, la construction du récit, le type de personnage, tout concourt à nous plonger dans un passé littéraire, au temps où l'on écrivait des polars pour des lecteurs fidèles qui savaient exactement ce qu'ils allaient trouver et n'auraient pas supporté un écart de la part de leur auteur favori. Imaginez un Maigret ultra-sanguignolent par exemple. Impensable ! La découverte d'une dizaine de Maigret achetée pour une bouchée de pain dans une brocante de village m'a donné l'occasion de me replonger dans ce type de récit qui ne peut laisser indifférent. Simenon, en son temps, a surfé sur la vague du roman policier psychologique. L'intrigue est généralement assez simple, on est loin des histoires à tiroirs aux multiples rebondissements des auteurs nordiques d'aujourd'hui. Loin aussi du style british de l'après-guerre avec ses détectives astucieux, un style qui connaît pourtant encore de nombreux adeptes outre-Manche (notament avec le polar historique) même si la tendance est plutôt aux serial killers pervers. Un Maigret fonctionne comme une enquête classique avec les moyens des années 60 (pas d'expert à lunette infrarouge, pas d'ADN et autres analyses révélatrices). On part d'un fait (crime, disparition, vol...) et l'enquête commence. Le commissaire doit se débrouiller avec les protagonistes qu'il va rencontrer les uns après les autres jusqu'à ce que la vérité sorte du chapeau du magicien. Chaque personnage en appelle un autre, on va de lieu en lieu, de rencontre en rencontre en remplissant le carnet d'indices comme dans un Cluedo pour en arriver à désigner dans les dernières pages le coupable. Nous assistons à une sorte de psychanalyse du crime et bien sûr des criminels potentiels. En général l'auteur du meurtre est présent dès les premières pages et peut pour un esprit exercé habitué au style Simenon, rapidement être identifié, car cet auteur ne fait pas dans l'originalité. Ce qui l'intéresse, c'est visiblement la contemplation de ses contemporains. On imagine aisément Simenon assis à sa table de travail, la pipe au bec, un sourire narquois au coin de la bouche, en train de ciseler ses dialogues, car le style Simenon c'est avant tout un travail sur le "question réponse" comme au théâtre. A travers les mots de ses contemporains, Simenon analyse l'homme ou la femme bien sûr. C'est un radiologue de la parole qu'il passe au rayon X pour découvrir imperfections et qualités qui constituent la personnalité. Après plusieurs livres lus les uns à la suite des autres, sans "entr'acte", ce qui fut mon cas, on peut ressentir un petit agacement devant cette charge systématique contre la bourgeoisie comme parfois avec les films de Chabrol, mais avec une absence totale d'humour. Avec Simenon le bourgeois est présenté au premier degré et se révèle généralement malsain, cachant le mal sous une apparente bonne éducation (perversions, goût immodéré pour l'argent propre ou sale...). La victime est le plus souvent de niveau social inférieur comme la prostituée tuée par un méchant riche, ou le comptable victime de son patron. Non décidément, Simenon ne devait pas beaucoup avoir de tolérance pour ses contemporains particulièrement si ceux-ci vivaient dans un monde où l'argent est roi. Mais heureusement il n'y a pas que cela dans Simenon, pour un lecteur du XXIe siècle c'est un véritable plaisir de se plonger dans un temps ou la DS était reine. Une époque où le flic des rues portait encore une pèlerine. Quand je vous disais qu'on n'était pas loin de l'archéologie !!! En tout cas cette expérience de lecture m'a donné envie de relire d'autres auteurs de la même époque, tels Exbrayat l'oublié ou Boileau et Narcejac, qui avaient en commun une maîtrise des mots, une sobriété de style, en dignes héritiers de Balzac, de Hugo ou de Flaubert.

Mini-biographie
Georges Simenon né à Liège le 12 février 1903 et mort à Lausanne le 4 septembre 1989, entre en écriture par le biais du journalisme : il devient reporter spécialisé dans les faits divers pour la Gazette de Liège en 1919, à l'âge de 16 ans ! Il s'installe à Paris en 1922, où il rencontre Colette. L'auteure l'encouragera à simplifier son style, et le conseil sera suivi. Il continue à publier des reportages, voyage beaucoup, puis s'installe dans la région de La Rochelle à la fin des années 30. C'est en 1929 que Maigret apparaît pour la première fois dans son oeuvre. Il écrit beaucoup pendant la guerre : près de vingt romans dont trois Maigret. Il s'installe à Lausanne dans les années 50.
Simenon est l'auteur de 192 romans et presque autant de nouvelles. Les tirages de ses livres atteignent 550 millions d'exemplaires : il est le 18e auteur mondial, le 4e auteur francophone.
Pour tout savoir sur Maigret, consulter le site référence en la matière.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Articles récents