24 avril 2011

James Lee Burke, un auteur qui a la dent dure pour son pays

Il écrit des polars depuis la fin des années 70 et il a fallu que Bertrand Tavernier adapte un de ses romans au cinéma (Dans la brume électrique) pour que les rayons des librairies spécialisées se remplissent des ouvrages de cet auteur de Louisiane.

Tout d’abord commençons par quelques titres que l’on peut se procurer actuellement chez Rivages / Noir : Prisonnier du ciel - Black Cherry Blues - Une saison pour la peur - Dixie City - La pluie de néon - Le brasier de l’ange - Purple Cane Road - Jolie Blon’s Bounce - Dans la brume électrique pour ce qui est des aventures de Dave Robicheaux, un de ses personnages emblématiques. Dave Robicheaux est un policier à l’américaine - un "hard boiled" - qui vit et travaille en Louisiane, où les influences des anciens colons européens sont en permanence rappelées au lecteur par des allusions fines ou des expressions en français dans le texte. Là-bas, un flic peut tout aussi bien être engagé au sein de la police municipale le lundi et se retrouver à vendre des vers de terre dans une boutique de pêche le vendredi, dans la mesure où ça n’est pas un diplôme de l’école de police qui compte pour ce job, mais les années passées à casser du Viet ou les rapports souvent tendus avec une hiérarchie elle-même sous la tutelle d’élus locaux.
Suivez le guide
Il est intéressant d’essayer de lire ces romans dans l’ordre proposé, parce qu’ils se suivent chronologiquement et font appel à des événements réels. Cela permet de mieux comprendre l’évolution du personnage principal et de son entourage, notamment Batist (un Noir qui tient sa boutique de pêche et de location de bateaux), Bootsie (sa dernière compagne), Alafair (sa fille adoptive, une gamine que l’on voit grandir d’épisode en épisode), et l’inénarrable Clete (détective truculent et grand fouteur de merde devant l’Éternel)...Une des particularités de M. Robicheaux, c’est de passer de l’état de Docteur Jeckyll à celui de Mr Hyde en quelques secondes, sans qu’on sache trop pourquoi. Le voilà qui discute tranquillement au bar, devant un Dr Pepper, boisson typique de l’alcoolique repenti... et vlan ! Un bourre-pif à son voisin qui a le malheur d’être une tête d’huile sans humour ou je ne sais quel autre mafieux "de couleur" local. James Lee Burke aurait-il du mal à contenir son personnage ? On sent confusément que cet auteur n’est pas indifférent au plaisir de décrire une bonne castagne, mais qu’en même temps il a envie de nous faire partager le quotidien d’un type plutôt sympa, voire bien élevé puisqu’il râle lorsqu’Alafair prononce un gros mot.
Peut-être y a-t-il du James Lee Burke dans ce Dave Robicheaux, car l’interview que l’on peut voir en bonus du DVD du film de Tavernier laisse à penser que c’est un auteur qui a du caractère, qui aime passionnément le coin où il vit, qui râle volontiers devant le manque de réactivité des hommes politiques après l’ouragan qui a dévasté la Louisiane et qui est prêt à prendre fait et cause pour la défense de son environnement.
La tête de l’emploi
Ce qui est curieux, c’est que j’ai eu l’occasion de commencer à lire un premier livre de Burke après avoir vu le film de Tavernier dans lequel le personnage de Robicheaux est interprété par Tommy Lee Jones (épatant d’ailleurs). En réalité, lorsqu’on remonte en arrière jusqu’au premier volume de la série, c’est plutôt un personnage à la Dennis Hopper dans les années 80 qui vient à l’esprit et qui colle le mieux à ce flic atypique. D’ailleurs, les éditions Rivages / Noir ne s’y sont pas laissé prendre puisqu’elles ont illustré la couverture d’Une saison pour la peur d’un portrait photographique qui fait irrésistiblement penser à Hopper. Si je devais définir Dave Robicheaux, je dirais que c’est une sorte de costard trois pièces en cuir élimé, même s’il est plus souvent en jean et en t-shirt ! Une élégance perverse et brutale. Un parti à éviter en tout cas car au cours de ses aventures, ils réussit à perdre plusieurs de ses compagnes sauvagement assassinées, sans réussir à les protéger. On en vient même à se demander si parfois il ne fait pas exprès de s’absenter quand il ne faut pas. En plus, il entretient des rapports très ambigus avec des mafieux avec lesquels il a traîné quand il était gosse, bref avec lui, rien n’est jamais joué d’avance, et le pire n’est jamais sûr. Mais curieusement, quand on a lu le premier roman, il se produit une sorte de phénomène compulsif et on ne peut résister : il faut les lire tous. Monsieur Dave, vous qui êtes pourtant un adepte des AA, toujours en quête d’une réunion pour éviter de craquer, pourquoi nous plonges-tu dans cette dépendance à laquelle il est bien difficile d’échapper ? On a même essayé de boire cette saloperie dont il est question dans chacun de tes bouquins... et franchement ça donne vraiment envie de se jeter sur un Bourbon sans glace.
Born in the bayou
Oublions maintenant le personnage pour parler du style de l’auteur, que certains qualifient de faulknérien. Une esthétique des mots pour décrire son environnement souvent embrumé et rempli de cris d’animaux tous plus bizarres les uns que les autres dans le bayou, au plus profond des marécages, au milieu des lacs et dans les patelins où il nous promène comme des invités d’honneur. Des passages oniriques pour évoquer l’histoire, vraie et fantasmée, d’une région qui a connu la guerre civile et qui en a conservé de profondes cicatrices. Entrer dans un bouquin de James Lee Burke, c’est un peu comme arriver dans un gîte rural à la nuit tombante, et que le patron nous fait faire le tour du propriétaire, de la cave au grenier. Un livre de Burke, ça sent quelque chose, les corps transpirent, on entend de la musique - du blues, du jazz... et les colts 45 puent la mort.
Des adaptations cinématographiques
On en connaît deux, dont celle récente de Tavernier (Dans la brume électrique) et une de 1996 signée Phil Joannou (Vengeance froide). Dans les deux cas, la Louisiane est mise en valeur par un choix de décor bien adapté. En revanche, le personnage de Dave Robicheaux est interprété de façon bien différente selon les metteurs en scène. D’ailleurs, dans un cas comme dans l’autre, il semble qu’ils ne correspondent pas tout à fait au personnage décrit par James Lee Burke. Dans le film de Tavernier, Tommy Lee Jones a le style (physique, vestimentaire, nonchalance) qui se rapproche du héros originel, alors que Alec Baldwin nous la fait typiquement à l’américaine, le héros super-actif, qui court dans tous les sens, qui crie pour un oui, pour un non... En tout cas, les deux acteurs ont repris l’idée proposée par James Lee Burke : la violence en soi est déjà un échec.
Mini-biographie de James Lee Burke
James Lee Burke est né le 5 décembre 1936 à Houston, il est considéré comme un des plus importants auteurs américains de polars, particulièrement connu pour sa série mettant en scène Dave Robicheaux. Sa carrière ne s’est pas faite en un jour, puisqu’il lui a fallu plus de 13 ans de tentatives infructueuses avant qu’un éditeur accepte enfin de publier son premier roman. Pourtant, à 19 ans, il réussissait à publier une nouvelle. Sous un physique de cow boy Marlboro, c’est un intellectuel qui cite volontiers Camus, George Bernard Shaw, Thomas Malory ou Socrate. Il est très attaché à la culture et à la langue française, qui malheureusement, d’après lui, disparaissent en Louisiane, pays dont il dit que les gens sont très durs, mais aussi très courageux. Il affectionne particulièrement New Iberia et le Bayou Teche, où il situera les aventures de son héros Dave Robicheaux. Parmi les sujets qui lui tiennent à coeur, la violence qu’il considère comme une défaite, n’hésitant pas à dire que la Louisiane est un pays où aujourd’hui on fait des affaires à coup de batte de baseball, l’environnement, particulièrement malmené dans ce pays qu’il considère comme un lieu festif et inconscient, à l’ambiance tropicale, mais aussi comme une oligarchie pétrochimique sans scrupules. James Lee Burke porte encore sur lui - Stetson blanc, Santiags - ses origines texanes, même s’il a passé son enfance sur la côte entre le Texas et la Louisiane. Après avoir étudié à la Southwestern Louisiana Institute, il entre à l’Université du Missouri d’où il sort diplômé. Il a exercé de nombreux métiers (dans l’industrie du pétrole, comme journaliste ou comme assistant social) et aujourd’hui, avec son épouse Pearl, il partage son temps entre le Montana et la Louisiane. Sa fille, Alafair Burke, est aussi auteur de romans policiers.
James Lee Burke en colère parle de la Louisiane dans Télérama de cette semaine. Sa conclusion : "La Louisiane est la poubelle de l'Amérique, son histoire est une tragédie. Pour moi, c'est comme être témoin chaque jour d'un crime dont je sais que, de mon vivant, il ne sera pas puni."

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