Vingt-et-un romans de Stephen King traduits, et William Olivier Desmond est encore en parfaite santé mentale, je vous l'assure ! Originaire du Sud-Ouest, WOD doit son nom à une ascendance irlandaise, et son premier prénom à la longue histoire des Anglais installés dans la région de Bordeaux.
Belle carrière de traducteur que celle de WOD, puisqu'il a aussi à son actif l'intégralité des romans de Donna Leon parus en français chez Calmann-Lévy, mais également des oeuvres de l'historien américain Robert Paxton (Le fascisme en action), de Jonathan Kellerman, Olen Steinhauer, C.J. Box et bien d'autres. Comme c'est souvent le cas, il est venu à la traduction un peu par hasard, beaucoup par amour de la littérature et de l'écriture.
"J'ai fait des études de lettres classiques et de philosophie à Bordeaux et à Aix-en-Provence. J'ai toujours adoré la littérature : enfant, en blouse grise, je dévorais Jules Verne, Alphonse Daudet, Alexandre Dumas. Je ne sais plus combien de fois j'ai lu Les Trois Mousquetaires... Etudiant, j'aimais bien me détendre en lisant des romans policiers, à l'époque des "Série noire" ou des San Antonio. Puis j'ai enseigné la philosophie au Canada. A mon retour en France, en 1973, j'ai travaillé un peu dans le tourisme. Puis j'ai eu la chance de rencontrer le directeur adjoint de Denoël. Il m'a dit : "Tu parles parfaitement l'anglais, tu sais écrire, tu sais taper à la machine, fais donc de la traduction !" Et voilà, c'était parti. A l'époque, le métier de traducteur était moins professionnalisé qu'aujourd'hui... J'ai acheté une machine à écrire, appris à taper (oui j'avoue, sur ce point j'avais un peu menti...), et j'ai traduit mon premier livre, un titre d'Alan Watts (philosophe autodidacte américain, spécialiste des philosophies orientales, "gourou" de la contre-culture américaine des années 70), Etre Dieu. Depuis, je n'ai pas cessé de travailler."
Un bon traducteur, qu'est-ce que c'est ?
Qu'on en juge : plus de 200 traductions publiées à ce jour. C'est sûr, WOD est un bon traducteur ! Au fait, quelles sont les qualités requises pour être ce bon traducteur-là ?
"A l'évidence, cela commence par une parfaite maîtrise de la langue de départ et de la langue d'arrivée, c'est la moindre des choses, tout comme un talent d'écriture, indispensable. Voilà le bagage minimum. Une fois ce minimum acquis, la véritable qualité nécessaire à mes yeux, c'est l'empathie. Empathie avec l'auteur, car le traducteur est son porte-parole et se tient sans cesse sur le fil entre le respect du texte d'origine et la justice qu'il faut rendre au style de l'auteur, à son talent. Empathie avec les personnages, pour trouver la spontanéité nécessaire à une traduction digne de ce nom."
En compagnie de Stephen King...
Vingt-et-un romans de Stephen King traduits, c'est presque comme un mariage, pourrait-on imaginer. A cet égard, William Desmond fait preuve d'un remarquable recul. Il sait que certains reprochent à Stephen King certaines lourdeurs, voire des longueurs, et il ne leur donne pas systématiquement tort. "J'aime chez King sa capacité à donner vie à des personnages attachants, et surtout sa faculté de décrire les émois pré-adolescents, à réveiller en nous des sentiments juvéniles que l'on aurait pu croire à jamais disparus. Il sait nous faire traverser nos propres strates d'âge, nous faire retrouver intacts nos effrois, nos émotions d'enfant. C'est très rare. C'est sûrement une des raisons pour lesquelles les lecteurs de Stephen King sentent une vraie complicité avec leur auteur préféré. Un de mes textes favoris de Stephen King a pour titre Coeurs perdus en Atlantide. Il s'agit en fait de cinq histoires reliées entre elles par des personnages communs. Des histoires qui ont toutes pour toile de fond la guerre du Vietnam. Dans ce livre, King se révèle un véritable styliste, un auteur d'une grande sensibilité avec une forte puissance d'évocation des idéaux perdus des années 60."
Les relations avec les auteurs
"Je n'ai jamais rencontré Stephen King. Il est traduit dans le monde entier, s'il devait rencontrer tous ses traducteurs... Mais cela ne m'a pas vraiment manqué. Il faut dire que King est un auteur vraiment américano-centré. Il est issu d'un milieu très pauvre, et sa culture s'est construite, forcément, de façon peu académique. Dans son Ecritures, un recueil de conseils à de futurs écrivains, où il évoque entre autres l'accident qui a failli lui coûter la vie, il donne des recommandations de lecture. Sur 70 titres, un seul est étranger. C'est révélateur...
En revanche, j'entretiens une relation très agréable et constructive avec Donna Leon. C'est une femme délicieuse, très cultivée, et bourrée d'humour. Un humour mordant qu'on retrouve en particulier dans un livre paru il y a peu, Brunetti passe à table. Il s'agit des recettes de cuisine du commissaire Brunetti, et Donna Leon y a ajouté des commentaires savoureux sur sa propre pratique de la cuisine, très... personnelle!"
Des expériences difficiles ?
"Oui bien sûr. A commencer par la situation où on se retrouve obligé de traduire un livre parce que l'auteur est très connu. Cela m'est arrivé une fois avec un célèbre auteur de thrillers, Herbert Liebermann. Eh bien même lui a eu des passages à vide... Là, le travail du traducteur devient difficile : on est tenté d'améliorer le texte plus que de raison, et c'est un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Autre mauvais souvenir, la traduction d'une biographie d'Albert Speer, l'architecte du Reich, écrite par une journaliste multilingue. Multilingue certes, mais pas experte en langue française. Quand j'utilisais l'expression "la puce à l'oreille", elle me demandait ce que venait faire cette histoire de puce... Inutile de dire qu'il y a eu, effectivement, des moments difficiles..."
Un auteur que vous auriez voulu traduire ?
"Sans hésitation, Robert Louis Stevenson. Un auteur à multiples visages, et pourtant invariablement génial. Il écrit L'Ïle au trésor, et cela devient LE roman de pirates. Il écrit Docteur Jekyll, et cela devient LE roman fantastique. Il écrit Hercule et le tonneau, et cela devient LE roman d'humour. Cet homme-là a eu une vie passionnante, trop courte, et il avait une personnalité exceptionnelle.
Sinon, j'évite de suggérer des traductions aux éditeurs. Il existe déjà beaucoup de "scouts", d'agents littéraires et de responsables de littérature étrangère dont c'est le métier que de trouver les bons romans à traduire en français... Cela m'est arrivé une seule fois, et avec bonheur. J'ai rencontré par hasard un riche homme de loi Américain qui voulait absolument publier un livre sur Oradour. Etonné et sceptique, je suis allé le voir et il m'a parlé de son projet : il avait analysé minutieusement tout le procès, eu accès aux archives. Résultat : un livre unique, qui fait maintenant autorité sur le sujet. J'ai été fier d'être associé à cette publication."
Traducteur et auteur
William Olivier Desmond est aussi auteur. A son actif, des romans policiers, des nouvelles et des textes sur la traduction.
"Pour écrire un roman, j'ai ma technique. Un personnage auquel je peux m'identifier facilement, ce qui va m'aider à le faire parler avec spontanéité, une situation et un problème. Dans L'encombrant, mon roman policier paru au Seuil, le problème était du type "machine à perdre". Rien de tel pour enchaîner les événements les plus invraisemblables avec une cohérence interne qui fait que l'histoire fonctionne, même si elle est totalement délirante. Et puis une bonne dose d'humour: je ne peux pas m'en passer !"
WOD vient de publier Bouillie bordelaise, une sombre histoire qui se passe dans le milieu des viticulteurs bordelais, que WOD connaît bien puisqu'il habite la région de Bordeaux et qu'il revendique haut et fort une cave abritant quelques prestigieux flacons ! Vous l'aurez deviné, notre homme cultive une véritable passion pour le vin. Et plus récemment encore, un recueil de nouvelles à la Indiana Jones, Icare à Babel.
Un tiers de bon vin, un tiers de littérature, un tiers de polar saupoudrés d'une pincée d'humour... Agitez bien, voilà le cocktail WOD !
N'en doutez pas, nous donc bientôt l'occasion de retrouver WOD l'auteur sur le Blog du polar.
Publications de William Olivier Desmond :
L'encombrant, Seuil Policiers
Bouillie bordelaise, Pleine page éditeur, 2007
Voyage à Bangor, José Corti
Paroles de traducteur, Peeters (Louvain)
Icare à Babel, nouvelles, J.C. Lattès, 2010
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