24 avril 2011

Matt Rees, quand le polar confine à la tragédie grecque

Longtemps j'ai attendu que l'éditeur se décide à sortir en français le quatrième roman de Matt Rees, Le quatrième assassin. De guerre lasse, j'ai décidé de le lire en anglais. Eh bien je ne regrette rien. Car là, le roman policier vient chatouiller les talons de la tragédie grecque. Le professeur détective Omar Youssef n'est ni à Gaza, ni à Bethléem, ni à Naplouse cette fois, mais bel et bien à New York, où il accompagne une délégation menée par le Président de l'Autorité palestienne, venue prendre part à une session de l'ONU. Il doit y prononcer un discours, et en profite pour rendre visite à son fils Ala, qui s'est installé à New York. L’histoire se déroule quelque temps après le 11 septembre, c’est dire qu’il ne fait pas bon être musulman, et encore moins Palestinien, si on vit à New York... C’est dans cette situation que se retrouve le malheureux Ala, qui n’a jamais pu utiliser son diplôme d’informaticien et qui en est réduit à faire le taxi pour survivre... Le roman démarre sur les chapeaux de roues, jugez-en : Omar Youssef n’est pas plutôt arrivé à l’appartement de son fils qu’il y découvre un corps décapité, dont on a remplacé la tête par un voile. De qui s’agit-il ? D’Ala lui-même, ou d’un de ses colocataires Nizar et Rashid ? Ou encore d’un inconnu ? Très vite, Omar Youssef comprend que le voile est un symbole, celui que porte l’ennemi de Mahdi, le Sauveur.

La trame de l’histoire est largement fondée sur celle de la secte des Assassins - d’où le titre du livre - ordre qui se regroupa sous l’influence du "gourou" Hassan Sabbah et qui, entre 1100 et 1300, sema la terreur dans les cours du Moyen-Orient et d’ailleurs. Pour faire court, ce mouvement prétendait défendre la foi authentique et ses membres n’hésitaient pas à assassiner les musulmans qu’ils jugeaient indignes. On se souvient que dans le dernier roman de Matt Rees, Ala, le fils d’Omar Youssef, avait viré bigot, si j’ose dire. Dans Le quatrième assassin, Omar Youssef est ramené des années en arrière, à l’époque où le jeune Ala et trois de ses amis les plus proches, Nizar, Rashid et Ismail, se surnommaient eux-mêmes les Assassins. Inutile de dire que dans ce roman, on ne trouvera guère de clichés sur Manhattan... En revanche, on y ressentira le froid humide, la brume poisseuse, la pluie pénétrante qui fait souffrir Omar Youssef lorsqu’il arpente le quartier de la Petite Palestine. On l’accompagnera jusqu’à la fête foraine de Coney Island, désertique et effrayante en cette saison d’hiver, on aura peur pour lui et ses proches, on frémira en attendant l’issue du complot fomenté pour assassiner le Président de l’Autorité palestinienne, on aura le coeur qui bat en suivant les rebondissements que nous ménage Matt Rees, qui ne sont pas de purs artifices d’auteur de polar, mais qui expriment les incertitudes et les ambiguités du Moyen-Orient. Le roman a beau se passer à New York, il nous en dit long sur les drames existentiels et identitaires, sur les souffrances d’un peuple qui lutte pour exister, et sur l’ignorance de l’Occident, qui contribue largement à pousser certains hommes au désespoir et à la violence. On lira avec émotion le discours courageux que finit par prononcer Omar Youssef devant l’ONU, et qui prend un relief encore plus fort si l’on pense aux récents événements de Tunisie, d’Egypte et de Lybie. Et encore une fois, on se dira qu’il nous faudrait quelques Omar Youssef de plus sur cette Terre... Cerise sur le gâteau, vous pouvez regarder une vidéo qui reflète bien l’ambiance du livre, et qui se conclut par une présentation en français, par Matt Rees lui-même.

Cerise sur le gâteau, vous pouvez regarder une vidéo qui reflète bien l'ambiance du livre, et qui se conclut par une présentation en français, par Matt Rees lui-même.

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