2 mai 2011

Hubert Bonisseur de La Bath, un espion qui n'a pas vu le vent tourner

Nous sommes en 1949, une année faste pour le papier imprimé. Il y a tout d'abord 1984 (Nineteen Eighty-Four) de George Orwell qui vient tout juste de sortir tandis que Robert Merle voit la parution chez Gallimard de Week-end à Zuydcoote, son premier roman qui sera récompensé par le Goncourt la même année. Côté polar, Quand la ville dort (The Asphalt Jungle) de William R. Burnett est aussi dans les bacs des libraires américains et Simenon fait voyager son célèbre Commissaire Maigret aux USA avec Maigret chez le coroner. En France un certain Jean Bruce de son vrai nom Jean Brochet qui a rencontré à la fin de la guerre un vrai agent secret américain portant le matricule OSS 117 se met devant sa machine à écrire et en moins d'un mois accouche d'un premier roman: Tu parles d'une ingénue, renommé par la suite Ici OSS 117. Son personnage, macho à souhait portant moustache et buveur de Cinzano est affublé d'un nom impossible, Hubert Bonisseur de la Bath. Tout d'abord refusé par les grandes maisons d'édition de l'époque, Jean Bruce propose son manuscrit aux toutes jeunes éditions du Fleuve Noir qui le retiennent. Il devient le numéro 1 de la collection "Spécial-Police" et après dix autres titres passera dans la collection "Espionnage" avant de les quitter pour rejoindre les Presses de la Cité. La collection Spéciale Police a la particularité de proposer aux lecteurs de polars de jeunes auteurs français alors que le petit monde de l'édition noire n'a d'yeux que pour les Américains. Les couvertures très suggestives sont réalisées par Michel Gourdon qui dessinera des milliers de 35000 couvertures pour les différentes collections du Fleuve Noir. Plus tard il se spécialisera dans la peinture de pin-ups dans divers magazines. Dans ce premier volume Jean Bruce évoque un trafic d'armes vers l'Amérique du Sud lié à un hold-up. L'auteur qui est crédité de 87 romans vendus à 24 millions d'exemplaires connaîtra un succès auprès de lecteurs fidèles qui attendaient avec impatience chaque nouvelle apparition de ce héros récurrent. Au cours de sa carrière Jean Bruce écrivit aussi deux pièces de théâtre: À bout portant, une comédie policière mise en scène par Robert Manuel et jouée au Théâtre de la Potinière, avec Alfred Adam et Frédérique Hébrard puis OSS 117, aussi mise en scène par Robert Manuel avec Alain Lionel dans le rôle de Hubert Bonisseur de La Bath. Dans un tout autre ordre d'idées il animera une émission de radio, intitulée OSS 117 raconte sur Europe 1 en 1962 pour parler de ses romans. On n'est jamais mieux servi que par soi-même. Et comme il devait lui rester un peu de temps de libre de 1960 à 1963, Jean Bruce dirigera la collection Espionnage des Presses de la Cité. Tout cela se termina très mal en 1963. Il perdra la vie au volant de sa Jaguar que l'on dit immatriculée 117. Il quitte la route à 200 km/h et finit sa course dans un arbre. Mais les aventures d'OSS 117 sont une affaire de famille et après sa mort, son épouse Josette Bruce se mit à l'ouvrage à son tour et réalisera un grand nombre de nouveaux titres dans la même série. OSS 117 sera ensuite repris pendant une vingtaine d'épisodes par les enfants de Jean Bruce qui mirent un point final aux aventures de ce personnage qui a marqué son époque dans la catégorie du polar efficace mêlant fiction et actualité que l'on lisait volontiers dans les transports en commun. Jean Bruce et Josette Bruce reposent au cimetière Saint-Pierre de Chantilly.

OSS 117 fut réellement un phénomène de librairie traduit en 17 langues et vendu à plus de 75 millions d'exemplaires aux dires des spécialistes (de nombreux sites et blogs traitent d'ailleurs du sujet) et cela quatre ans avant son concurrent britannique James Bond 007 créé par Ian Fleming. Il connut de nombreuses ramifications avec le cinéma et la BD. Il est amusant de se souvenir que OSS 117 rencontre un succès certes modéré avec en 1957 Ivan Desny dans le rôle-titre. Trois ans après cette première tentative infructueuse Michel Piccoli interprètera à son tour ce rôle mais sous le nom de Brian Cannon car les droits du roman Documents à vendre qui servit au scénario n'étaient pas libres d'adaptation à l'époque. Enfin André Hunebelle réalisera à son tour Banco à Bangkok pour OSS 117 et Furia à Bahia pour OSS 117 avec Frederick Stafford un peu plus crédible dans le rôle d'Hubert. Enfin A tout coeur à Tokyo sera porté à l'écran par Michel Boisrond toujours avec Frederick Stafford en vedette. Il faut attendre 2005 pour découvrir les parodies signées Michel Hazanavicius: Le Caire, nid d'espions suivi de Rio ne répond plus avec Jean Dujardin.
Aujourd'hui ces romans de gare sont relégués dans les malles au grenier. Certainement sous-évalués dans le genre espionnage à la française, Hubert Bonisseur de La Bath qui puise ses racines dans la Louisiane du XVIIIe siècle, n'a qu'à s'en prendre qu'à lui-même. Ah, s'il avait été un peu plus lucide sur ce qui se passait autour de lui il aurait compris que le style macho était déjà en perte de vitesse et que son improbable croisade au service des valeurs de l'Occident était vouée à l'échec. L'Office of Strategic Services ou bureau des services stratégiques pour qui il bossait a véritablement existé. Il s'agissait d'une agence de renseignements (parmi tant d'autres) qui a vu le jour en 1942 après l’entrée en guerre des Etats-Unis. Durant la Seconde Guerre mondiale ses agents s'occupaient de recueillir des renseignements et participaient à des missions spéciales. Démantelée le 1er octobre 1945 par Harry Truman l'OSS voit ses hommes incorporés notamment dans la CIA où notre très cher OSS 117 se voit porté au grade de Colonel. A la lecture de cette chronique vous aurez compris que Jean Bruce a essayé à sa façon de raconter les derniers jours d'une période coloniale qui allait laisser la place à la guerre froide que l'on trouvera dans la plupart des romans d'espionnage de la fin des années 60.

Fiche de lecture - Tu parles d'une ingénue renommé plus tard Ici OSS 117 de Jean Bruce

En bref
Pour sa première apparition, Hubert Bonisseur de La Bath, espion et détective patenté, débarque en France pour représenter une banque américaine et négocier avec le « Gang des Tractions » des documents secrets relatifs à un trafic d'armes réformées via l'Amérique du Sud vers quelques pays soumis à l'embargo. Ces papiers compromettants ont été volés lors d'un hold-up dans lequel le gang est visiblement impliqué mais pas question de prévenir la police car le secret doit être bien gardé. Dans ses aventures Hubert Bonisseur de La Bath est secondé par un ami français, Pierre Dru, qu'il a connu pendant la guerre. Il enquête tambour battant au rythme de ses conquêtes féminines dont une Baronne fatale et pour le moins ambigüe, la jeune fille mineure d'un homme d'affaires qui le retiendra quelques temps prisonnier et quelques autres filles faciles qui passent à sa portée. Il n'hésite pas à donner du poing et à sortir son arme quand il le faut même si ça doit faire mal jusqu'au dénouement qui réservera une surprise.

Question de style
Rien à dire puisqu'il n'y en a pas. L'auteur privilégie l'aspect narratif en utilisant un langage simple sans finesse. Tout est dans l'action en continu (déplacement, visite des lieux classiques du polar, sexe soft et bagarres). Lorsqu'il fait dialoguer des truands entre eux, il utilise volontiers le langage façon mauvais garçons que l'on retrouve dans tous les films noirs à la française de cette époque. Enfin lorsqu'il veut faire preuve d'un trait d'humour celui-ci tombe généralement à plat pour un œil du XXIe siècle.

Drôle de type, drôles de mœurs
On ne peut s'empêcher de remarquer la façon dont ce personnage caricatural d'espion viril traite ses chères compagnes. Coup poing dans l'estomac si elles résistent et un bon uppercut au menton en cas de crise d'hystérie. Rien de tel pour remettre les idées en place en ce temps-là où visiblement se "taper" une jeune fille de 16 ans (même nymphomane) n'avait strictement aucune conséquence, littéraire en tout cas. Pour peu que cette aventure répréhensible permette à Hubert Bonisseur de la Bath de prendre la tangente au bon moment.

Quelques lignes
« Le visage épanoui, Pierre se dit que son ami n'avait pas changé. Svelte, large d'épaules, avec un rude visage de prince pirate orné d'une épaisse moustache, des yeux perçants bleus de glace surmontés de sourcils en broussaille, des cheveux châtain clair coupés très court, Hubert Bonisseur de la Bath était de ces hommes qui attirent l'attention, surtout des femmes ».

Tu parles d'une ingénue - éditions Fleuve Noir - 1949 (première édition cotée environ 400 euros sur internet)
Ici OSS 117 - Presses de la cité - numéro 16

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