3 juin 2011

Gilda Piersanti, la plus française des Italiennes

J'ai déjà parlé ici des romans de Gilda Piersanti, et notamment du premier de sa série des Saisons meurtrières à Rome, Rouge abattoir. J'ai été tellement séduite par cette première lecture que j'ai immédiatement enchaîné avec le deuxième, Vert Palatino, et éprouvé l'envie irrésistible de lui poser quelques questions. Nous nous sommes donc rencontrées, et nous avons longuement parlé de ses livres et de son métier d'écrivain.



Comment avez-vous commencé à écrire?

"J'ai beaucoup tardé avant de me décider à écrire dans l'intention d'être publiée. J'ai fait des études classiques, de la philosophie, et je me suis passionnée pour la littérature française, notamment Baudelaire, qui était le sujet de mon diplôme. J'ai commencé par faire de la traduction du français vers l'italien, puis j'ai exercé d'autres activités. Je me suis notamment occupée d'expositions de peinture, en tant que commissaire. C'était le cas pour une exposition consacrée à Constantin Güys, un peintre qu'affectionnait Baudelaire. En parallèle, j'écrivais des textes universitaires, des articles, mais aussi des nouvelles. Je n'avais vraiment pas le « profil » de l'auteur type de romans policiers !"


Justement, comment avez-vous choisi cette voie pour vos premiers romans?

"Entre Baudelaire et Dostoïevski, deux de mes auteurs de prédilection, il y avait une chose en commun : un intérêt pour le dévoilement du côté sombre de l'âme humaine, pour le mal en fait. Il m'a semblé que le roman policier était justement le genre où cette exploration était la plus à sa place. En réalité, quand j'écris un roman, je ne me dis pas nécessairement : « j'écris un roman policier. » J'écris de la littérature, et bien sûr je travaille mon intrigue et je ménage un suspense. Je joue le jeu !"

Comment avez-vous vécu votre premier contrat d'édition ?

"Quand j'ai écrit mon premier roman, j'étais certaine que j'allais être publiée tout de suite. J'ai donc commencé par envoyer mon manuscrit au Mercure de France, ce qui était une drôle d'idée pour un polar! Jean-Marc Roberts m'a répondu personnellement en me disant que mon roman était très intéressant, mais pas pour cette maison d'édition. Paradoxalement, cela m'a encouragée à continuer. Jusqu'au jour où j'ai rencontré mon éditeur actuel, Le Passage, avec qui la collaboration est vraiment agréable et réussie. C'est très important pour un auteur d'avoir un éditeur proche de lui, et c'est le cas avec Vincent Eudeline, qui est un véritable éditeur au sens généreux du terme."

Comment voyez-vous cette éternelle dualité entre la littérature, « la vraie » et la littérature policière ou noire, souvent encore considérée comme mineure, même si elle rencontre de plus en plus de succès ?

"Quand j'écris, j'écris de la littérature. Et je crois que de plus en plus d'auteurs de romans policiers ont la même démarche. On a tendance à affirmer que pour réussir un roman policier, l'essentiel, c'est l'intrigue. Je ne suis pas d'accord. C'est comme lorsqu'on dit qu'un bon film, c'est juste une bonne histoire. Pour moi, un roman réussi, c'est d'abord une écriture, une voix à soi, et des personnages qui se construisent et prennent du corps, avec lesquels on a envie de rester."

Vous n'avez donc rien contre les personnages récurrents ! Certains de vos confrères disent qu'utiliser un personnage récurrent, c'est se priver du plaisir de créer un nouvel univers, de nouveaux personnages.

"J'aime mes personnages. Prenons le cas de Mariella, mon personnage de flic féminin. Au départ, je ne voulais pas qu'elle soit trop sympathique. C'est quelqu'un qui ne parle pas beaucoup, qui passe sa vie à boire du café très fort, qui est plutôt solitaire, et qui a une vie sexuelle un peu particulière. Eh bien au fur et à mesure que les romans avancent, on la découvre, on la comprend mieux, on en sait davantage sur son passé, et j'essaie de faire en sorte qu'elle ne perde pas son mystère. De temps en temps, on a l'impression qu'elle va retomber du côté « normal » de la vie humaine, et puis finalement elle rechute toujours dans sa phobie des relations homme-femme dites « normales ». Ce qui est intéressant justement, c'est de faire en sorte que les personnages soient toujours cohérents avec eux-mêmes, même quand ils font des choses irrationnelles ou bizarres."

Vous écrivez en français. Et votre écriture est justement très personnelle, peut-être à cause de cela. Pourquoi cette démarche ?

"Je vis en France depuis plus de vingt ans, j'ai un long passé de traductrice et une vraie passion pour la langue française. Mon expérience de traductrice y est certainement pour beaucoup. Ce métier n'est d'ailleurs à mon sens pas assez valorisé dans le monde de la littérature. Pour moi, les bons traducteurs sont de véritables auteurs. Lorsqu'un auteur écrit, il écrit, l'écriture sort, il ne réfléchit pas nécessairement à ce qu'il couche sur le papier. Le bon traducteur, lui, doit être sans cesse attentif à son écriture et à celle de l'auteur. Il doit faire en sorte que sa traduction soit à la fois fidèle et belle, mais aussi qu'on y sente une trace de la langue d'origine, je crois... C'est très difficile. Et puis il y a autre chose : je suis italienne, et en fait ma langue maternelle n'est pas l'italien. Ce qu'un petit enfant italien entend dans sa plus tendre enfance, c'est le dialecte de sa région. L'italien, il l'apprend à l'école ! Tout comme j'ai appris le français un peu plus tard..."

Rome est un personnage à part entière de vos romans. Quand on vous lit, on a immédiatement envie de prendre l'avion pour vous suivre dans vos parcours romains...

"Oui, j'ai voulu enraciner mes histoires dans la ville où je suis née et que je connais bien, tant géographiquement qu'humainement. Et pourtant, dans la première adaptation télévisée de Rouge abattoir, qui s'appellera Hiver rouge, l'action a été transposée à Paris ! Tout a dû être entièrement réécrit dans cette perspective, avec de nouveaux lieux, de nouveaux repères... Un travail considérable."

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce téléfilm ?

"Oui, il devrait être diffusé sur France 2 avant la fin de l'année. Le film est réalisé par Xavier Durringer, et on y retrouvera Patrick Chesnais, Jane Birkin et une formidable jeune actrice de théâtre dans le rôle de Mariella, Camille Panonacle. J'ai participé à l'écriture du scénario, ce qui était une expérience intéressante, car le métier de scénariste est vraiment différent de celui de romancier."

La musique sous toutes ses formes est très présente dans vos romans. Pourquoi ?

"Au début, j'ai voulu mettre du rock un peu par provocation. J'en avais tellement assez de ces romans policiers où l'on n'écoute que du jazz ! Alors j'y ai mis du Radiohead, un groupe que j'aime particulièrement. Mais je cite aussi des chansons folk ou populaires, parfois de l'opéra ou du lyrique. En fait parfois les paroles de chanson me permettent de dire certaines choses par le biais d'évocations sonores, de réminiscences."

Votre actualité et vos projets ?

"Je suis très curieuse de voir pour la première fois la version montée du téléfilm, ce sera le 9 juin, c'est-à-dire très bientôt. En termes d'écriture, je travaille en ce moment à la saison d'été de mon deuxième cycle romain, qui n'a pas encore de titre définitif, et qui devrait sortir au printemps 2012. Et peut-être à plus long terme, une adaptation de Bleu catacombes..."

Les romans de Gilda Piersanti (tous publiés par les éditions du Passage)
Les saisons meurtrières
Rouge abattoir
Vert Palatino
Bleu Catacombes
Jaune Caravage


Vengeances romaines
Roma Enigma
Médées

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